Intro - Extraits - Table des matières

Introduction

Le présent ouvrage propose de revisiter une partie de l’Histoire du génocide perpétré à l’encontre des Tutsi du Rwanda à la lueur d’une sélection de retranscriptions écrites d’entretiens filmés que j’ai réalisés au pays des mille collines à l’occasion de deux voyages. L’un a été effectué en avril 2009, l’autre en février 2010. Ces entretiens m’ont été accordés aussi bien par des rescapés de ce génocide que par d’anciens génocidaires. 
L’idée de recueillir des témoignages m’est venue à l’issue d’un symposium qui eut lieu en avril 2009 dans la capitale rwandaise, Kigali, et auquel j’avais été invité à intervenir à l’occasion de la quinzième commémoration du génocide perpétré à l’encontre des Tutsi. J’avais pour idée de les recueillir sur le thème exclusif du comportement des soldats français au Rwanda au cours du printemps 1994, après quoi je prévoyais d’en diffuser les images sur internet. Fortement impressionné par ceux que j’avais eu à entendre en décembre 2006 à l’occasion des auditions publiques des témoins de faits de la commission rwandaise chargée de rassembler les preuves de l’implication de l’État français dans ce génocide, je considérais ainsi pouvoir mettre les internautes dans les mêmes conditions que celles dans lesquelles j’avais moi-même été lorsque j’y avais assisté. C’est dans cette logique que je demandais au caméraman chargé de filmer les différentes interventions du symposium s’il était prêt à m’accompagner sur les collines afin de filmer ces entretiens, dont je pensais alors qu’ils se limiteraient à ne m’apporter que des informations de même nature que celles que j’avais déjà eu à connaître deux ans et demi et plus tôt. 
Je n’étais ainsi, au moment où j’ai commencé à procéder aux premiers entretiens, en possession d’aucun indice d’une quelconque participation active de soldats français au massacre génocidaire perpétré les 13 et 14 mai 1994 à l’encontre des civils tutsi de Bisesero, une région de l’ouest du Rwanda. Je ne connaissais de ce massacre que ce que l’on pouvait alors en dire, c’est-à-dire suffisamment pour savoir qu’il avait été l’un des plus meurtriers de ce génocide, près de quarante mille civils tutsi rwandais y ayant trouvé la mort au cours de ces deux journées, essentiellement d’ailleurs au cours de celle du 13 mai. 
Après avoir effectué mes premières interviews à Kigali, j’avais envisagé de rester deux jours à Kibuye, dans l’ouest du pays, après quoi j’avais prévu de me rendre à Gikongoro. Si les toutes premières interviews concernent bien le comportement des soldats français, elles les évoquent toutefois soit à d’autres endroits que Bisesero, soit à d’autres moments qu’au cours de ces deux journées que sont les 13 et 14 mai 1994. À partir toutefois de l’instant où la piste de la présence de soldats blancs à Bisesero, le 12 mai 1994, me fut ouverte, je décidais de la creuser, ce que je fis en modifiant mon plan de travail initial. Il s’agirait désormais de mener une enquête destinée à comprendre, par le détail, comment s’était organisé puis déroulé à Bisesero le massacre génocidaire des 13 et 14 mai 1994. Si j’ai décidé de prêter attention à cette présence non officielle de soldats blancs au Rwanda, c’est probablement inconsciemment grâce aux conseils de Cécile Grenier et de Michel Sitbon, chacun m’ayant invité, indépendamment l’un de l’autre, et avant mon départ, à ne pas rejeter cette possibilité au cours des rencontres que j’allais éventuellement être amené à faire une fois sur place. Je décidais donc de rester à Kibuye pendant plusieurs jours, abandonnant progressivement tout entretien sans rapport direct avec ces faits. 
Dix mois plus tard, je revenais à Kibuye y poursuivre cette enquête, accompagné d’Anne Jolis, journaliste au Wall Street Journal, afin qu’une personne externe puisse assister, en toute transparence, au déroulement de cette deuxième partie d’enquête, au cours de laquelle j’avais prévu de procéder à des reconstitutions sur le terrain. Je voulais également qu’elle puisse interroger mes témoins en toute liberté. 
Ensemble, les témoignages que j’ai recueillis à l’occasion de ces deux voyages permettent aujourd’hui de reconstituer avec précision les modalités d’une participation directe de soldats français au génocide perpétré à l’encontre des civils tutsi de Bisesero les 13 et 14 mai 1994.
Il s’est agi de multiples attaques, chacune se contentant de reproduire une séquence de trois temps bien distincts : le premier correspond à l’ouverture massive du feu par des soldats français à l’arme lourde, notamment à l’aide de lance-roquettes. Le deuxième est celui de la mitraille : il est effectué aussi bien par des soldats français que rwandais. Le troisième et dernier temps est celui au cours duquel la population hutu, encadrée par les milices génocidaires rwandaises formées par la France au cours des années qui ont précédées, entrent à leur tour en action. Ce sont les ‘‘petites mains du génocide’’. C’est alors le temps des machettes et des massues, celui au cours duquel sont achevés les Tutsi blessés au cours des deux premiers temps de la séquence. Roquette, mitraillette, puis machette : les voilà donc, les trois temps de la danse macabre franco-rwandaise. 
Et voilà aujourd’hui décalé le curseur de l’accusation relative à la responsabilité de la France officielle dans le génocide perpétré à l’encontre des Tutsi du Rwanda. Le voilà déplacé de sa complicité, qu’elle soit de l’ordre du conseil technique, de l’appui financier ou du soutien diplomatique, à la participation directe de certains de ses soldats sur le terrain même du massacre de masse. Voilà également modifiée notre perception de certains des événements qui ont eu lieu dans le cadre de l’opération Turquoise, cette opération française mandatée par les Nations unies et déployée au Rwanda à partir du 22 juin 1994. 
Dans cet ouvrage, je tenterai de faire apparaître ce que cette enquête a précisément permis de modifier quant à notre compréhension du mécanisme du génocide perpétré à l’encontre des Tutsi du Rwanda. Et puisqu’il nous faut bien choisir une méthode, c’est en suivant la chronologie de l’Histoire que je passerai en revue les différents événements qui la jalonnent, donnant régulièrement la parole à mes témoins, afin que ces derniers les éclairent de la lanterne de leur expérience. 
L’annexe de ce livre rassemble enfin les retranscriptions écrites des entretiens sur lesquels je me suis fondé pour bâtir le corps de cet ouvrage. Outre le contenu proprement dit de ces entretiens, ces annexes consignent implicitement la méthodologie qui m’a permis d’obtenir ces témoignages. 
La publication de ces retranscriptions écrites participe de ma volonté de transparence, afin que le public, s’appropriant à son tour les éléments de mon enquête, se fasse sa propre opinion quant à la possibilité d’une participation directe de soldats français au génocide perpétré à Bisesero à l’encontre de quarante mille civils tutsi rwandais les 13 et 14 mai 1994. 
Je n’ai pas pu trouver, parmi les livres écrits par des officiers ayant participé aux différentes missions françaises déployées au Rwanda, les réponses aux questions que je me suis posées sur ce sujet. En février 2010, le général Lafourcade, chef de l’opération Turquoise, a été informé par la journaliste Anne Jolis de l’imminence de la parution sur la question d’un article dans le Wall Street Journal. Elle lui a demandé de bien vouloir réagir quant au fait que des témoins venaient de faire état de la présence de soldats français à Bisesero le 13 mai 1994, ce à quoi le général lui a répondu qu’il n’y en avait pas au Rwanda en mai 1994. Pourtant, dans une interview qu’il accordera un peu plus tard au magazine français Le Point, et qui sera publiée le 10 juin 2010, il affirme : « Quand le génocide des Tutsis et des Hutus modérés débute, en avril 1994, suite à l’assassinat du président rwandais Habyarimana, il ne reste plus qu’une vingtaine de militaires français dans le pays, à l’ambassade », ajoutant dans un même souffle : « Ils ne quittent pas Kigali. » Or si cette vingtaine de militaires français, dont le général confesse qu’ils étaient présents au Rwanda en avril, n’ont pas quitté le pays jusqu’à l’arrivée au Rwanda des troupes de Turquoise en juin, il va sans dire qu’ils y étaient donc présents entre ces deux mois, c’est-à-dire en mai. Alors lequel des deux Lafourcade doit-on croire ? Il ne manque pas, par ailleurs, d’écrire dans son ouvrage : « Quand le génocide a commencé, le 7 avril 1994, il n’y avait alors plus de soldats français au Rwanda », contredisant de facto ce qu’il a écrit dans le magazine Le Point, à savoir qu’il ne serait resté « qu’une vingtaine de militaires français dans le pays ». Alors, lequel cette fois des trois Lafourcade doit-on croire ? Celui qui a parlé à la journaliste américaine, celui qui s’est exprimé au magazine Le Point, ou bien celui qui a écrit un livre sur le sujet ? Voilà en tout cas pourquoi il ne m’a pas semblé utile de tenter d’aller interroger ces officiers français au sujet des révélations qui m’ont été faites au Rwanda. 
Foncièrement attaché aux principes fondamentaux de mon pays, la France, persuadé qu’une grande partie des soldats de son armée y sont eux-mêmes attachés, ce pourquoi ils ont fait le choix d’entrer dans la carrière militaire, il serait pour le moins injuste que les résultats de cette enquête affectent leur image, dévalorise aux yeux de tous la sincérité de leur engagement. Je souhaite qu’elle les aide au contraire à rétablir, au sein de cette armée, les principes pour lesquels ils se sont engagés. Car la nature génocidaire de l’implication d’une partie de l’armée française au Rwanda semble bien s’être faite à l’insu du plus grand nombre de ses soldats. 
Une fois les premiers résultats de cette enquête publiés en février 2010 dans le Wall Street Journal, on imagine la pression à laquelle les témoins que j’ai interrogés ont peu à peu dû être soumis pour qu’ils se taisent, qu’ils se rétractent, ou tout bonnement oublient avoir vu le moindre soldat blanc au mois de mai 1994. N’oublions pas en effet, et ce à toute fin utile, que nous parlons ici de l’implication directe de soldats français dans le dernier génocide du vingtième siècle. 
Nul doute, en ces circonstances pour le moins singulières, que certains de mes témoins finiront par se rétracter, soit parce que le scepticisme auquel ils auront dû faire face aura fait se refermer des rescapés sur eux-mêmes, à l’instar de ceux de la Shoah dont on n’a pas manqué d’affirmer qu’ils affabulaient lorsque, pour la première fois, ils s’étaient mis à parler de leur expérience des camps de la mort, soit plus simplement pour avoir été menacés. Quels sont ceux qui, parmi eux, auront alors le courage de résister à ces pressions que ne manqueront pas d’exercer sur eux ceux dont l’intérêt est qu’ils finissent par revenir sur leur premier témoignage ? Je n’en sais rien. 
Ce dont je suis toutefois intimement persuadé, c’est qu’après avoir été mis par chance sur la piste que l’on sait, et devant l’intérêt que je portais à cette histoire, ces hommes et ces femmes m’ont confié ce qu’ils n’avaient encore jusqu’alors pour certains jamais dit sur la base de la confiance que j’ai pu leur inspirer quant à ma détermination consistant à faire connaître leur histoire sans la déformer ni l’édulcorer. Une fenêtre sur la vérité historique a, et c’est maintenant irréversible, été ouverte en avril 2009 ainsi qu’en février 2010. Et c’est cela qui compte, même s’il advenait qu’elle finisse par se refermer. L’Histoire que ces gens m’ont racontée est un présent lourd à porter. C’est là un euphémisme. J’entends, par cet ouvrage, m’en délester enfin, la partageant désormais avec tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté.

Les "bonnes feuilles" du livre

pp. 58-59

Dans l’extrait qui suit, l’auteur explique, témoignages à l’appui, comment s’est, le 12 mai 1994, mis en place un leurre destiné à tromper les Tutsi de Bisesero. Il s’est agi de leur faire croire que les soldats blancs qui leur furent présentés ce jour étaient là pour empêcher la milice génocidaire de s’en prendre à eux, et les convaincre qu’ils pouvaient désormais se découvrir afin de se préparer à recevoir une aide prévue pour le lendemain 13 mai.

Extrait de la page 58 à la page 59Extrait de la page 58 à la page 59 (289.69 Ko)

pp. 70-71

Dans l’extrait qui suit, l’auteur fait état, témoignages à l’appui, de la synchronisation entre soldats blancs, militaires rwandais et paysans hutu dans le massacre perpétré le 13 mai 1994 à l’encontre des civils tutsi réfugiés sur la colline de Gititi.

Extrait de la page 70 à la page 71Extrait de la page 70 à la page 71 (253.45 Ko)

pp. 202-205

Dans cet extrait, l’auteur éclaire les révélations qui lui ont été faites à la lueur de certains témoignages déposés devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).

Extrait de la page 202 à la page 205Extrait de la page 202 à la page 205 (324.66 Ko)

pp. 216-219

Dans cet extrait, l’auteur éclaire les révélations qui lui ont été faites à la lueur de certains témoignages recueillis par l’association African Rights. Il indique ensuite en quoi il est aujourd’hui nécessaire de modifier les schémas historiques par lesquels nous avons jusque-là été invités à penser ce génocide.

Extrait de la page 216 à la page 219Extrait de la page 216 à la page 219 (329.92 Ko)

pp. 406-409

L’extrait qui suit a pour but de montrer comment sont présentées les retranscriptions d’entretien figurant dans l’annexe du livre, chaque retranscription étant précédée d’une synthèse de l’information extraite à partir de l’interview.

Extrait de la page 406 à la page 409Extrait de la page 406 à la page 409 (225.95 Ko)

Table des matières

Table des matieresTable des matieres (269.62 Ko)