Rushes 2013

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  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC FRANCOIS MURIGAMBI (RESCAPÉ) :

Témoignage de François Murigambi recueilli par Bruno Boudiguet le 12 avril 2013 à Mubuga.

Résumé : Les attaques terribles commencent le 13 mai 1994. L’attaque commence entre 8 et 9 heures du matin, car François voit que le temps est déjà clair, tandis que, dans les montagnes, la lumière tarde à venir. Il se trouve alors avec d’autres Tutsi sur la haute montagne de Nyiramakware. Les premiers qui arrivent sont la population et les miliciens. Ils se mettent à leur jeter des pierres. Ils ne peuvent toutefois pas s'approcher des Tutsi pour les tuer avec leur machette, décidant de rester à bonne distance. Entre trente minutes et une heure après l’arrivée des miliciens, arrivent des militaires armés. Les militaires rwandais arrivent dans des Jeeps. Ils sont avec des Blancs également en tenue militaire. François se dit que les Blancs qu’il voit à Nyiramakware ont dû laisser leur voiture à l'école primaire de Bisesero, au croisement à Gitwa, l’école étant située à côté de ce croisement. À côté du croisement il y a en effet une petite route qu’ils ont dû emprunter jusqu'en bas de l'école, vers Mumubuga. Les Blancs ont leur fusil à l’épaule ou les ont dans leurs mains. Ces armes tirent comme des mitraillettes Les militaires rwandais tirent sur les Tutsi. Ils tuent la plupart des Tutsi. François croit se souvenir que les Blancs tirent aussi. Ils lancent leurs grenades dans la forêt de Nyiramakware. Il y a beaucoup de bruits, qu’ils proviennent de tirs, de fracas de grenades, de gens qui meurent ou de gens qui attaquent. Quand les assaillants commencent à tirer, François et les autres Tutsi se mettent à courir et se cachent dans la forêt de Nyiramakware. C'est ainsi que certains Tutsi parviennent à échapper à la mort, car même s'ils les tirs continuent, il est difficile de les tuer étant donné que leurs assaillants ne se déplacent pas jusqu’à cette colline. De la colline de Nyiramakware, on peut apercevoir celle de Muyira qui est en face, séparée de Nyiramakware par une colline. Les Tutsi sont divisés, certains groupés sur Nyiramakware, d’autres sur Muyira, ce étant donné qu’ils ne sauraient autrement contrecarrer les attaques susceptibles de venir de tout côté. Il y a plus de monde sur Muyira. Ce sont surtout les Abasesero qui s’y trouvent. Ceux des autres communes sont sur Nyiramakware. Il y a notamment ceux de Kizibaziba, de Jurwe ou de Nyabitare. Le soir, juste après que les attaquants sont partis, François se rassemble avec les Tutsi groupés sur d’autres collines afin notamment de se raconter ce qui s'est passé pendant la journée, d’évaluer qui est mort ce jour-là. Or ce jour-là, il y a beaucoup de morts. François a vu des Blancs ce jour à Nyiramakware, et il apprend à cette occasion de la part de ceux qui s’étaient regroupés à Muyira qu’il y en avait également à Muyira. Ils constatent donc qu’ils ne peuvent plus rien faire, puisque les Blancs sont venus les attaquer : ils n’ont plus aucune chance.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC MANASSE NZARORA (GÉNOCIDAIRE) :

Témoignage de Manasse Nzarora recueilli par Bruno Boudiguet le 12 avril 2013 à Mubuga.

Résumé : Manasse participe le soir du 12 mai 1994 à une réunion à Mubuga avec le bourgmestre Charles Sikubwabo et le conseiller Vincent Rutaganira, ces derniers regroupant la population à laquelle ils disent : « Vous avez entendu parler de la légendaire résistance de Bisesero. Mais ne vous en faites pas, des renforts vont arriver dans quelques minutes. Dès que ce renfort sera là, on va vous dire comment s'organiser pour essayer de casser la résistance de Bisesero. » Quelques minutes plus tard, Manasse voit en effet des Jeeps ordinaires se garer et cinq Blancs en sortir. Ils portent des tenues militaires, mais pas de casque de protection. Les voilà qui tout de suite pénètrent avec le bourgmestre dans la maison du conseiller Rutaganira. Quand ils en sortent, les Blancs reprennent la route vers Gishyita. Alors le bourgmestre s’adresse à la population : « Comme je vous le disais, les renforts sont ces Blancs qui sont venus. Avec eux, nous venons de décider que toute personne ici apte partira attaquer Bisesero tôt demain matin, pour que cette fois-ci soit la dernière. » Les Blancs reviennent à Mubuga le 13 mai au matin au nombre de cinq. Trois portent cette fois des casques et des tenues militaires. D'autres derrière portent un treillis mais pas de casque. La voiture n’est plus la même que la veille : c’est une voiture « Convoy », une voiture militaire contenant des rangées de deux, les passagers étant assis de chaque côté, deux autres passagers étant eux assis devant, à l’endroit du conducteur. La voiture est toujours stationnée devant chez le Conseiller Vincent quand part la population. Pour distinguer les Abasesero des génocidaires, ces derniers se sont vêtus de feuilles de bananiers, ce qui leur permet de montrer qu'ils sont Hutu. Arrivés à Mumubuga, les cinq Blancs descendent de la voiture et partent avec Manasse et d’autres génocidaires. Avant d'arriver à Byiha, cellule située tout près de Mumubuga, on leur demande de s'arrêter. Des gens venus d'ailleurs les y attendent, à Mumubuga, ne comptant pas commencer à attaquer sans les Blancs étant donné la crainte qu’ils nourrissent des Tutsi de Bisesero, ces derniers assurant une forte résistance. Manasse et les autres génocidaires ont surtout peur du groupe d’Abasesero qui se trouve sur la colline de Muyira. Ce sont les plus résistants, les plus forts. Le bourgmestre Sikubwabo s’adresse maintenant à tout le monde, Manasse faisant partie de ceux qui l’écoutent : « Puisque maintenant tout le monde est arrivé, il faut avancer vers Kanyinya, près de Muyira, et là, vous allez commencer à attaquer les Tutsi en commençant par Muyira. » Ce sont les Blancs qui montrent vraiment ce qu’il leur faut faire. Manasse s’aperçoit que les Blancs s'y connaissent plus que les militaires rwandais. Ainsi, puisqu’en dépit des tirs, certains Abasesero continuent à jeter des pierres sur les assaillants, un militaire rwandais, se risque à conseiller aux génocidaires : « Si vous voyez beaucoup de pierres et que vous tirez, il faut vous coucher à terre. » C’est alors qu’un Blanc présent à cet instant l’interrompt : « Non, il faut continuer à tirer ! » Manasse et les génocidaires commencent aussitôt à attaquer, ce qu’ils font après être parti avec ces Blancs qui se mettent eux à tirer. Il n’y a d’ailleurs pas que ces Blancs, mais aussi énormément de militaires rwandais, les deux tirant. Les fusils des Blancs ne sont pas gros, plutôt petits même, des fusils qu’ils portent et qui tirent, tirent, tirent. Les Blancs tirent plus que les militaires rwandais. Les Blancs aident vraiment à casser la résistance des Abasesero. C’est ainsi avec leur aide que les génocidaires parviennent à disperser et tuer la plus grande partie des Abasesero de Muyira, après quoi Ruzindana leur tire dessus avec un gros fusil de longue portée et qu’il utilise au coté d’un militaire, empêchant les Tutsi d’aller se réfugier dans les plantations de thé. Cette grosse arme est posée, étant donné qu’il est impossible de la transporter autrement qu’à l'aide d'un véhicule. Après les tirs sur Muyira, les militaires disent aux génocidaires dont Manasse fait partie : « Maintenant, les Tutsi sont affaiblis, on en a tué une grande partie. Mais vous, la population et les miliciens, suivez-les et achevez ceux qui sont encore en train de courir. » C'est ainsi que Manasse participe à les poursuivre pour les achever. Munzurwanda aide alors les génocidaires dans cette tâche en mettant sur son fusil quelque chose qu'il projette en direction des Abasesero. Le projectile agit alors comme du piment voilant les yeux des Abasesero qui commencent à tomber, si bien que Manasse et les autres peuvent tranquillement les tuer. ...

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC BONIFACE MUTUYEMUNGU (RESCAPÉ) :

Témoignage de Boniface Mutuyemungu (rescapé) recueilli par Bruno Boudiguet le 12 avril 2013 à Mubuga (Rwanda)

Résumé : Boniface a 32 ans au moment du génocide. Il est né dans la cellule Ryaruhara, commune Gishyita. Ce n’est pas un Musesero. Il est à la frontière Gishyita-Bisesero. À Bisesero, les Tutsi font tout ce qu’ils peuvent pour se défendre. Les assaillants sont beaucoup plus nombreux, beaucoup plus forts, mais là, au moins, il y a des morts des deux côtés. Personne ne peut quoi que ce soit contre la grande attaque du 13 mai. Il y a des militaires rwandais ainsi que des militaires blancs. Boniface voit des Blancs, mais entend ses camarades, qui eux sont allés à l'école, dire : « Je les ai entendus parler français ». [L’un de ces camarades est encore vivant et vit à Kigali]. Boniface n’a lui rien entendu. Ces Tutsi érudits ont eu vent depuis longtemps que la France aide à combattre les Inkotanyi. Boniface considérera quant à lui que les Blancs qu’il a vus le 13 mai étaient bien des Français au moment où il verra revenir des Blancs, français, au mois de juin soi-disant pour les aider. Les militaires blancs et rwandais tirent ce 13 mai en direction des Tutsi, leur lançant des projectiles jusqu’alors inconnus par Boniface qui ne connaît alors de projectiles que les grenades et les balles. Or il reçoit ce jour d’autres types de projectiles qui lorsqu’ils tombent dans les narines et les yeux aveuglent les Tutsi qui se jettent alors à terre, ne voyant plus devant eux. Ceux qui comme Boniface font partie des hommes forts, de ceux qui peuvent courir, prennent la direction de la forêt de Nyiramakware. Mais à cet endroit, il y a beaucoup, beaucoup de morts. Après les trois grandes attaques de la mi-mai, il y a une sorte de cessez-le-feu, mis à part de petites attaques de miliciens, les militaires pour leur part ne venant plus. Ce sont des attaques auxquelles tout le monde peut faire face, des attaques de rien du tout, pas vraiment des attaques même, en tout cas pas aussi terribles que la grande attaque du 13 mai, incomparables. Les assaillants viennent juste tuer ici et là. Il faut dire qu’il ne reste alors que très peu de Tutsi qui de plus restent dans leurs cachettes. Ça continue ainsi jusqu'au mois de juin. Quand les Français arrivent en juin, les Tutsi instruits sont alors cachés. Aussi ne viennent-ils pas parler tout de suite aux Français qui les surprennent tandis qu’ils se cachent. Alors qu’ils s’apprêtent à fuir, les Français disent à ces Tutsi qui comprennent leur langue : « Ne vous en faites pas, soyez tranquilles, on ne vient pas ici pour vous attaquer. On vient ici pour essayer de vous aider. » Les Français leur disent que la guerre a cessé. Après avoir discuté avec les Français, ces Tutsi s’en vont chercher ceux qui se terrent dans leurs cachettes, ces Tutsi blessés qui, ne pouvant pas courir, ont été cachés dans des trous de peur qu’étant à la traîne l'ennemi ne les achève. Ces Tutsi ne voulant pas sortir de leur trou, ils leur disent : « Venez, venez, les Français sont là. Ils ne viennent pas pour nous tuer. Il semble qu'ils viennent pour nous aider. Il faut venir. Ne restez pas seuls dans vos cachettes. » Boniface fait partie de ceux qui les écoutent. Ils leur disent que quand bien même ils sont français, il ne faut pas avoir peur de s’approcher d’eux. À cette époque, le chef est de facto celui qui peut parler et comprendre la langue. Boniface se souvient notamment de Damascène Gakwerere qui est alors enseignant, ainsi que de Bernard Kayumba [actuel maire de Karongi] s’adressant à tout le monde : « N'ayez pas peur, allons-y et écoutons. Il paraît que les Français viennent nous aider. » Les Tutsi commencent toutefois par refuser. La tache consistant à les convaincre s’avère donc compliquée. Les Tutsi ont peur d’aller à la rencontre des Français, sachant ce qu'ils ont fait avant. Aussi leur rétorquent-ils : « Comment pouvez-vous avoir confiance en ces gens qui sont venus nous attaquer ? » En dépit de la difficulté de l’exercice, ils persistent à tenter de les convaincre, ce qu’ils font en finissant par leur dire : « Même s'ils sont venus nous tuer, autant nous approcher tous ensemble. Comme ça, on mourra ensemble, mais vous voyez qu'il n'y a pas d'autre issue. Alors choisissons d'accepter qu'ils soient là pour nous aider. » C'est ainsi que les Tutsi qui ont de l’affection pour ces gens qui leur parlent, ces gens qui sont des leurs, finissent par être convaincus et acceptent de s’approcher des Français afin de leur parler.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC JEAN NGARAMBE (GÉNOCIDAIRE) :

Témoignage de Jean Ngarambe (génocidaire) recueilli par Bruno Boudiguet le 12 avril 2013 à Mubuga (Rwanda)

Résumé : Jean ne se rappelle pas avoir vu de voitures avec des Français avant le grand massacre, fin avril, début mai. Le matin du 12 mai, les Français arrivent alors que Jean est déjà là. Il y a deux Jeeps militaires. Elles sont garées au rond-point, en face du bureau de secteur, là où habite Vincent Rutaganira. Les Blancs sont à peu près huit. Il y a de nombreuses personnes présentes au rond-point, sur la place de Mubuga. Ils se rendent chez le conseiller Vincent Rutaganira. Ils cherchent quelqu'un pour les accompagner à Bisesero. Rutaganira parle certes français, mais il doit rester sur place. Les Français s’entretiennent un moment avec Rutaganira, puis ils reviennent et demandent au groupe de gens : « Qui parle Français parmi vous ? ». Ils veulent prendre un certain Édouard si ce n’est que ce dernier confesse ne pas parler français. Ils s’adressent à Jean qu’ils entendent prendre avec eux. Jean s’apprête à partir quand Vincent vient à sa rencontre et lui dit : « Tu veux aller où ? Qu'est-ce que tu vas leur dire, alors que tu ne parles pas français ? » Alors Vincent prend l'initiative d'appeler Twagirayezu qui leur dit parler français. Twagirayezu est ainsi proposé étant donné que c’est le seul qui parle français. Jean ne connaît pas encore le but de cette opération Au moment où les Blancs partent, Vincent tient une réunion au cours de laquelle il dit à ceux qu’il vient de rassembler : « Comme vous venez de le voir, les Français sont venus pour nous aider. » Rutaganira annonce alors à la population qu’il lui faut se lever tôt le lendemain pour aller attaquer Bisesero. Le lendemain matin, 13 mai, la population part pour Bisesero y tuer les Tutsi. Il s’agit d’une terrible attaque du fait de la présence de militaires rwandais ainsi que de militaires blancs. Jean se trouve d’abord sur la colline de Nyiramakware. Sur Nyiramakware sont lancées balles et grenades. Les Tutsi essaient de courir. Jean court avec d’autres génocidaires, les pourchassant afin de tuer avec leurs machettes ceux qui restent en arrière. Aussi les génocidaires ne restent-ils pas sur place mais suivent les Tutsi dans leur fuite. Après Nyiramakware, Jean se rend à Muyira. Après Muyira, Jean rentre avec les autres assaillants à 16 heures, avant la nuit. Les Français ne retournent pas attaquer à Bisesero. Après les 13-14-15 mai, Jean continue pour sa part avec d’autres génocidaires à y aller tuer les survivants tutsi, ce qu’il fait sans s’arrêter jusqu'en juin, n’allant plus à Bisesero que pour vérifier qu'il n'y a plus de Tutsi, participant par la même occasion à dérober leurs vaches. Début juillet, Jean croise des gens qui commencent à dire que le FPR est sur le point d’arriver. Ils expliquent que c’est pour cette raison qu’ils fuient. Apprenant que le FPR approche, Jean prend peur de retourner à Bisesero et fait bientôt partie de ceux qui cherchent comment fuir. S’il a peur, il a toutefois un enfant qui s'est brûlé, et qu’il ne sait comment transporter. Aussi choisit-il de ne pas fuir mais de rester au Rwanda.

ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC CASIMIR RUZINDANA (RESCAPÉ) :

Témoignage de Casimir Ruzindana recueilli par Bruno Boudiguet au cours d’une reconstitution le 14 avril 2013 à Gititi (Bisesero, Rwanda).

Résumé : Le matin, juste avant l'attaque du 13 mai 1994, Casimir se trouve sur une colline beaucoup plus haute que les autres, un endroit stratégique d’où l’on peut voir venir l'ennemi de tous côtés. Il se trouve avec d’autres Tutsi sur la colline de Gititi. C’est alors qu’il voit arriver des assaillants en beaucoup plus grand nombre que d’habitude. Il aperçoit sur la colline en face de celle sur laquelle il se trouve arriver des bus ainsi que d’autres véhicules. C’est au moment où les militaires de ce convoi descendent de leurs voitures qu’il s’aperçoit que ce sont des Blancs. Les voitures en sont pleines. Il y en a également avec des Rwandais. Les Blancs se mettent alors à installer de gros fusils. Il y en a au moins deux. Les Tutsi se disent que c'est en dès lors fini pour eux. Les Blancs se mettent maintenant à tirer. Les Tutsi tombent alors comme des fruits murs tombant d’un arbre. C’est la première fois que Casimir voit ça. Quand les assaillants lancent leurs projectiles à partir de ces gros fusils, c’est tout un groupe de gens qui tombent en même temps. Il s’agit d’un type d’attaque qu’il n’a encore jamais subie. Si les Tutsi ont pu résister contre les attaques précédentes, c'est maintenant difficile de résister étant donné que les tirs atteignent la colline sur laquelle ils se trouvent tout en venant d’en face. Des militaires rwandais sont aussi derrière des armes lourdes. Si certains Blancs sont derrière ces gros fusils, c’est dans leurs mains que d’autres Blancs tiennent d’autres gros fusils, la plupart d’entre eux tirant en tout cas avec des armes qu'ils portent.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC FAUSTIN NGARAMBE (RESCAPÉ) :

Témoignage de Faustin Ngarambe recueilli par Bruno Boudiguet le 14 avril 2013 à Mumubuga.

Résumé : Le 13 mai 1994, Faustin ne voit pas de gros fusils postés devant la colline de Nyiramakware. Les assaillants gardent leurs armes dans leurs mains et tirent en marchant. La seule fois où il voit des Blancs, c'est sur un chemin qui mène vers Nyiramakware. Il les voit alors tirer avec des armes en marchant. Un «grand fusil» est posté tout près de Muyira. Il y en a aussi à Ruhuha ainsi que de «grands fusils» placés sur les côtés d'autres collines. Si les assaillants étaient venus sans «gros fusils», ils ne seraient pas venus à bout de la résistance des Tutsi qu’ils n’auraient pas pu atteindre. Ce sont les Tutsi qui les auraient alors tué, ce en dépit du nombre de leurs adversaires. Après la grande attaque, les Tutsi n’ont plus de force. Ils n’essaient même plus de courir, se contentant de rester là où ils se trouvent. La deuxième fois que Faustin voit des Blancs (30 juin), ces derniers leur disent de sortir de leurs cachettes pour entendre le message qu’ils leur destinent : ils leur font alors savoir que la guerre a cessé et qu'ils sont là pour les protéger. Faustin n’y croit guère mais n’a d'autre choix que celui de sortir de sa propre cachette.

  • RECONSTITUTION INDIVIDUELLE AVEC SYLVÈRE NYAKAYIRO (RESCAPÉ) :

Témoignage de Sylvère Nyakayiro (rescapé) recueilli par Bruno Boudiguet le 14 avril 2013 au cours d’une reconstitution sur Mataba (Bisesero, Rwanda)

Résumé : Le 13 mai, sur la colline de Mataba, dite aussi « de Sakufe », sont présents les enfants, les femmes, les hommes ainsi que les personnes âgées. L’attaque commence sur cette colline. Les Interahamwe y attaquent les Tutsi contraints dès lors de fuir en direction de la colline Kagari. Il s’agit de les déplacer vers cette haute colline afin d’ensuite tirer sur eux. La première fois que Sylvère voit ce jour des Blancs, dont il ne connaît pas la nationalité, il les voit sur la colline de Mataba où ils installent de gros fusils avec lesquels ils se mettent à tirer sur les Tutsi qui tentent de fuir dans diverses directions, l'objectif étant de les empêcher de fuir en direction de Kazirandimwe. Les Tutsi sont encerclés étant donné la présence de militaires sur la colline suivante, Ruhuha. Ces militaires, prétendument présents à cet endroit pour veiller aux installations d'Electrogaz, y étaient en fait en vue de cette attaque. Aussi quand les Blancs commencent à tirer sur les Tutsi à partir de Mataba, Sylvère et les autres Tutsi montent en courant, rejoignant ceux déjà présents sur la colline Kagari. Ce sont surtout ces derniers qui tirent avec force pour faire sortir les Tutsi de leurs cachettes, ce afin que les Interahamwe puissent les cueillir. Sylvère perd ses quatre sœurs sur la colline de Kagari. La colline de Muyira est délimitée en bas par une rivière la séparant des autres collines. Afin d’atteindre la colline de Muyira, de gros fusils sont installés à Rwirambo, mais il y a également des postes de tirs à Mataba, Uwingabo, Nyankomo (la colline du Mémorial, plus haut que les bâtiments du mémorial), Bwiniro (vu de Mataba, derrière Kagari), Nyamasovu et Kirwa (de l'autre côté, derrière la partie boisée à la gauche de Muyira, on voit trois collines, cela semble être près de Ruhuha).

  • RECONSTITUTION AVEC SIMÉON KARAMAGA (CHEF ADJOINT DE LA RÉSISTANCE À BISESERO) ET ANTOINE SEBIRONDO (RESCAPÉS) :

Reconstitution le 14 avril 2013, par Bruno Boudiguet, de la présence de Blancs le 12 mai 1994 à Bisesero avec Siméon Karamaga (chef adjoint de la résistance à Bisesero) et Antoine Sebirondo

Résumé : Reconstitution sur la colline Rwirambo.

Antoine Sebirondo : Alors qu’Antoine se cache le 12 mai avec Siméon Karamaga et Samuel sur la colline de Nyakigugu, dans des trous invisibles de l'extérieur, ils aperçoivent facilement des Blancs, sans savoir s’il s’agit de Français. Ces Blancs passent sur la route et se rendent jusqu'à Ruhuha.

Siméon Karamaga: Siméon se cache le 12 mai avec Antoine sur la colline de Nyakigugu de laquelle ils aperçoivent les voitures de Blancs passer, sans savoir s’il s’agit de Français. Aujourd’hui Siméon considère que c’étaient bien des Français et qu’il ne saurait y avoir d’équivoque. Il ne pense pas en effet que des Blancs autres que français aient pu venir, compte tenu de ce que ce sont des Français qui ont ensuite fait de cet endroit leur propre zone [zone Turquoise]. Selon Siméon, quand bien même y aurait-il eu des Blancs non français, les Français l’auraient su.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC ÉTIENNE BASABOSE (RESCAPÉ) :

Témoignage d’Étienne Basabose recueilli par Bruno Boudiguet le 15 avril 2013 à Gititi.

Résumé : Pendant la semaine qui précède l’attaque du 13 mai, le calme règne soudainement à Bisesero, ce à quoi les Tutsi ne trouvent pas d’explication, ignorant que leurs tueurs sont alors en train de s'organiser. Les journées des 13 et 14 mai, un vendredi et un samedi, sont terribles. Ce sont des jours qu'Étienne ne peut pas oublier. Le 13 mai, Étienne se réunit avec d’autres Tutsi à Muyira afin de connaître les directives qu’il va leur falloir suivre ce jour. Il est 7 heures du matin. Les Tutsi viennent d'entendre les directives pour la journée concernant la façon pour eux de se défendre. Les Tutsi postés à un endroit devront repousser les attaques venus d’un certain côté, les autres Tutsi postés ailleurs devront eux repousser d’autres attaques lancées elles d’un autre côté. C'est alors qu’ils voient les collines commencer à mettre au monde des militaires. Ils sont cernés. Alors qu’Étienne se trouve toujours à Muyira démarrent les tirs. Ce sont des choses qui envoient des projectiles faisant que la montagne elle-même se voit être déchirée. C'est quelque chose de terrible. Dans toutes les collines, que ce soient d’endroits visibles ou non visibles, leurs assaillants tirent sur les Tutsi. Les attaques viennent d’un peu partout. Étienne et les autres Tutsi restent la langue entre les dents, se disant qu’ils ne sont plus en mesure de se défendre. Les voilà qui tentent maintenant de rejoindre le lac pour se suicider en s’y jetant, si ce n’est que leurs assaillants les contraignent à rebrousser chemin Alors Étienne parvient à s’échapper de Muyira en courant, il aperçoit des voitures à bord desquelles se trouvent des Blancs, tous au sein d’un même groupe. C’est à cet instant qu’il voit des Blancs pour la première fois entre Nyarutovu et Gitwa. Il voit les Blancs sortir de leur voiture. Il voit leur visage, voit bien que ce sont des Blancs. S’ils portent une tenue qui sort de l'ordinaire, tout en ressemblant à certaines tenues militaires, il n’est toutefois pas en mesure de la distinguer de celle des autres militaires. Quand Étienne les voit, il se dit avec les autres Tutsi alors à ses côtés que c’en est désormais fini pour eux. Maintenant qu'il y a des Blancs, ils se disent qu’ils n’ont plus aucune porte de sortie. Alors lui et les rares personnes avec qui il se trouve, et qui comme lui sont jeunes et peuvent courir, essaient de courir en passant par un camp de réfugiés, près de Mu Gitwa [à ne pas confondre avec Gitwa]. Arrivés là-bas, ils ne peuvent plus avancer. Ils sont très fatigués. Alors ils s’assoient, pensant à cet instant être les seuls survivants.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC INNOCENT NKUSI (RESCAPÉ) :

Témoignage d’Innocent Nkusi recueilli par Bruno Boudiguet le 15 avril 2013 à Gititi.

Résumé : Le 13 mai 1994, Innocent est caché. Ils ne se cachent pas au même endroit pendant la journée. Il se cache dans des trous où l’on cherche d’habitude du coltan. Quand il entend les tirs, il en sort et aperçoit des Blancs à Nyarutovu. Il aperçoit des Blancs tenant quelque chose avec laquelle ils observent les Tutsi courir et qu’Innocent pense pouvoir être un appareil photo. Les Blancs qui tiennent ces jumelles ne portent pas de tenue militaire, mais d'autres Blancs – peut-être plus que trois – en portent eux. Des fusils sont postés à certains endroits, mais Innocent ne saurait dire où sont ces armes lourdes. Il voit en revanche qu’elles font se soulever la terre, le sol même se déchirer, les gens sauter, ce tandis que lui est en train de courir. D’autres Blancs tirent eux avec leur fusil entre leurs mains, des fusils qui ne s'arrêtent pas. De nombreuses personnes tombent à côté d’Innocent. Tout le monde tire, aussi bien les Blancs que les autres. Le lendemain 14 mai est aussi terrible que la veille. Innocent revoit des Blancs tirer sur les Tutsi. Les Blancs ont les mêmes armes que la veille. Il y a également des civils ainsi que des militaires rwandais qui tirent. Innocent et les autres Tutsi se mettent alors à courir et se cachent dans la forêt de Nyiramakware, dans les trous qu’ils y ont creusés. Certains Tutsi meurent dans ces trous tandis que d’autres essuient les tirs avant même de parvenir à leur cachette. Innocent pense être le seul survivant du groupe dans lequel il était ce jour. Les trois attaques terribles ont lieu les 13, 14 et 15 mai. C’est au cours de ces attaques qu’Innocent perd ses sept enfants, sa femme, son père, sa mère, ses frères. Dans sa famille paternelle, ils étaient douze enfants. Il n'en reste aujourd’hui que deux, son frère et lui. Peu après l’attaque Simusiga – disons une semaine après, selon Innocent -, en tout cas avant que le Blancs ne viennent avec Twagirayezu - entre 20 jours et un mois avant la rencontre du 27 juin, selon Innocent -, Ruzindana, Mika et Twagirayezu viennent se moquer des survivants tutsi : « Est-ce que c'est vrai que vous êtes attaqués ? Et par qui ? » Les Tutsi répondent : « Nous sommes attaqués par Ruzindana et Mika ! » Alors Mika et Ruzindana leur rétorquent : « Non, non, ce n'est pas nous qui vous attaquons. D'ailleurs nous allons revenir avec la Croix-Rouge pour vous sauver, n'ayez pas peur. » Quand les Blancs reviennent le 27 juin, ils sont avec Twagirayezu, alors qu'ils savent selon Innocent qu’il s’agit d’un Interahamwe qui marche avec Ruzindana et Mika. Les Tutsi disent aux Blancs que Twagirayezu est un Interahamwe qui vient pour les tuer. Certains Tutsi veulent même s’en prendre à lui. Les Tutsi disent aux Blancs : « Comment prétendez-vous nous sauver alors que vous êtes en compagnie d'un Interahamwe ? » Les Blancs repartent avec Twagirayezu, disant aux Tutsi qu’ils comptent revenir. Les Tutsi revivent les 28, 29 et 30 juin une nouvelle fois ce qu’ils ont vécu au mois de mai.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC CASSIDE MUKAZITONI (RESCAPÉE) :

Témoignage de Casside Mukazitoni recueilli par Bruno Boudiguet le 15 avril 2013 à Gititi.

Résumé : Au matin du 13 mai 1994, Casside se cache vers Kashyamba, tout près de chez Kabogora, à Kamina. Elle est avec d’autres femmes, mortes depuis. La plupart d'entre elles n'ont déjà plus d'enfant, d'autres en ayant toutefois encore. Difficile de fuir car même sur la route à cet endroit se trouvent plusieurs militaires accompagnés de miliciens. C'est à cet endroit que Casside sent soudain une chose qui semble avoir été lancée et qui fait trembler la montagne. Quand elle sort, elle voit des Blancs ainsi que d'autres militaires. Ils sont nombreux. Elle ne peut toutefois dire s’ils sont 5, 7 ou 4. L’attaque n’est pas ordinaire. Elle ne ressemble pas aux précédentes. Il y a non seulement des militaires mais aussi donc des Blancs. Ses sept enfant sont été tués au cours du génocide.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC HELDIONE MUSADAYISI (RESCAPÉ) :

Témoignage d’Heldione Musayidizi recueilli par Bruno Boudiguet le 15 avril 2013 à Gititi.

Résumé : Le 13 mai 1994, tandis qu’Heldione fait partie d’un groupe se cachant sur la colline de Kigarama, ils commencent à entendre les tirs, quittent cette colline pour aller se réfugier sur celle de Mumubuga, juste en face de la colline de Nyarutovu qui suit celle de Gitwa. Quand on prend la route pour se rendre à l'école primaire de Gitwa, les bâtiments de Mumubuga se trouvent sur la gauche. Heldione regarde alors en direction de la colline de Nyarutovu où il aperçoit des Blancs y arrivant, s’y arrêtant un moment et sortant de leurs voitures. C'est la première fois qu’il voit des Blancs. Ils sont en tenue militaire, de la couleur de leurs voitures également militaires. Heldione ne sait pas si ces Blancs sont des Français. Et puis, il a peur de regarder, se cachant au moment où il les observe. Autrement dit, lui et les autres Tutsi avec qui il se trouve à cet endroit essaient de voir les assaillants sans qu’eux ne parviennent en retour à les voir. Il y a beaucoup de voitures. Une fois garées, nombreuses sont les personnes qui en sortent. Il y a, en compagnie des Blancs, nombre de militaires noirs dont Heldione suppose que ce sont des Rwandais, si ce n’est qu’il ne les connaît pas, qu’il n’est pas en mesure d’identifier qui que ce soit, ni de reconnaître de personnalité locale. Lorsqu’il voit les Blancs le jour de la grande attaque, Heldione s’enfuit en direction de la forêt de Pinus de Nyiramakware. Ce premier jour des attaques de la mi-mai correspond à la plus terrible des attaques. La présence de ces nombreux militaires ainsi que de ces Blancs rend les choses difficiles pour les Tutsi. C'est la première attaque qui sort de l'ordinaire. Heldione ne peut pas vraiment identifier les types d'armes, mais lorsqu’ils tirent et lancent leur projectile, c'est tellement fort qu'on peut voir le sol sauter ainsi que la personne à côté, ce avant qu’elle ne finisse par retomber à terre. Heldione ne sait pas si les Blancs tirent eux-mêmes, occupé qu’il est à courir afin d’éviter les tirs sur Mumubuga. La deuxième fois qu’Heldione voit des Blancs c'est le 17 juin à Byiha sur la colline de Gitwa, juste à côté de l'école primaire de Gitwa. Heldione a peur de s'approcher. Lui et d’autres ont peur des Blancs, d’autant qu’ils s’aperçoivent qu'ils sont avec Twagirayezu, un Interahamwe, un enseignant. Ils s’approchent quand même. Tout le monde a peur, y compris Heldione, si ce n’est qu’ils disent qu’ils sont après tout déjà morts. Aussi n’ont-ils pas le choix. Ils s’en vont donc écouter ce que ces Blancs ont à leur dire, allant jusqu’à se convaincre que par chance, ils tireront sur eux une fois pour toutes et qu’ainsi tout cela finira enfin.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC AMON NYAKAYIRO (RESCAPÉ) :

Témoignage d’Amon Nyakayiro recueilli par Bruno Boudiguet le 15 avril 2013 à Gititi.

Résumé : L'attaque Simusiga a eu lieu après un mois au cours duquel les Tutsi ont passé les jours les plus longs de leur vie. Avant cette attaque, les Tutsi connaissent un moment de répit, de telle sorte qu'ils commencent à croire que la guerre a cessé, qu’il s’agit peut-être là d’un cessez-le-feu. Aussi se mettent-ils à sortir de leurs cachettes. Ils ne savent alors pas ce qui les attend. Amon ne se joint alors pas à ceux qui se regroupent pendant la journée afin de savoir comment s'organiser pour essayer de se défendre. Puisqu’il leur est laissé du répit, certains Tutsi comme Amon commencent à négliger un peu ces directives, ces conseils. Certains partent, d'autres essaient de se cacher mais aussi de faire certaines activités. Le 13 mai 1994, Amon entend des tirs. Il voit les montagnes se déchirer. Il constate que même les gens qui sont alors dans les rivières ou qui se cachent derrière les montagnes, peuvent mourir en étant atteint par des balles. Quand Amon tente de courir, il voit que sur chaque montagne, sur chaque colline, on ne voit plus ni arbre, ni herbe, mais seulement des gens. Les Tutsi qui sont tout près des assaillants voient des Blancs. Quant à Amon, il ne voit pas de Blanc ni même de militaire. Tout ce qu’il est en mesure de voir, ce sont des voitures, beaucoup de gens en train de tirer, des gros fusils qui tirent sur eux, sans savoir si ces gens qui tirent sur eux sont des militaires ou des civils, ni enfin si ce sont des Blancs. Hormis ces deux semaines - ou cette semaine et demie - au cours desquelles les Tutsi ont connu un répit, ces derniers ont pris l’habitude de se rassembler le soir venu. C'est ainsi qu’ils se comptent et déterminent ceux qui sont morts, ce qu’ils sont en mesure de faire quand ils ne les voient plus, et c'est ainsi qu'ils savent qui est blessé. Ce jour-là, comme ils ont vraiment subi quelque chose de terrible, une fois les assaillants partis tard dans la nuit, ils se regroupent une nouvelle fois pour déterminer ceux qui sont morts, tout le monde étant d’ailleurs ce jour presque mort. C'est alors qu’Amon apprend que l'attaque du jour a inclus des Blancs ainsi que des militaires parmi les assaillants. Autrement dit, ce ne fut pas une attaque comme les autres et ce qui vient de se passer est dès lors compréhensible. Parmi les personnes qui évoquent la présence de Blancs au cours de l’attaque, certaines sont mortes aujourd’hui, d'autres sont en vie, deux étant voisins d’Amon.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC EMMANUEL BUTERA (RESCAPÉ) :

Témoignage d’Emmanuel Butera recueilli par Bruno Boudiguet le 15 avril 2013 à Gititi.

Résumé : Emmanuel Butera a 20 ans au moment du génocide. Il est né dans la commune d'Uwingabo. Il vit aujourd’hui dans l'Umudugudu d'Uwingabo, sur la colline de Kanyinya qui devient Uwingabo quand on prend la direction de l’actuel mémorial. Après l'attentat contre l'avion présidentiel, Emmanuel essaie avec les autres Tutsi de se défendre contre les attaques. Ces attaques cessent soudainement pendant presque une semaine. Les Tutsi commencent à se dire que c'est la fin de la guerre. Quand bien même les attaques ont cessé, Emmanuel n’ose pas reprendre le travail. Lui et d’autres Tutsi se disent en effet qu’ils ne savent quand leurs assaillants sont susceptibles de revenir, mais au moins ils ont un répit. Habitant alors sur la colline de Gititi, Emmanuel parvient très bien à voir, le 1er ou le 2 mai, des hélicoptères atterrir dans la commune de Gishyita, celle-ci étant en dessous de Gititi. S’il ne peut certes savoir qui sort de l’hélicoptère, ni ce que font ceux qui en sortent, encore moins de quoi ils parlent, il parvient bien à voir tous les mouvements. Les Tutsi plus âgés que lui disent en voyant cet hélicoptère atterrir : « Nous venons certes de passer presque deux semaines de répit, mais il y a quelque chose qui se prépare, on ne sait pas encore quoi, mais ce sera quelque chose de terrible. » La prophétie ne tarde pas à se réaliser. Le 13, Emmanuel voit beaucoup, beaucoup, beaucoup d’attaquants. Sur la route de Nyarutovu vers Kanyinya, il voit même quelques Blancs - plus de cinq selon lui - dont il ne connaît alors pas la nationalité. Deux Blancs se trouvent devant une voiture, tandis que d’autres sont dans une Jeep derrière. Au moment où il voit ces Blancs, ces derniers ne tirent pas. Ils ont seulement une sorte de caméra. Quant à lui, il est alors caché tout près de la route dans un buisson robuste d'eucalyptus. Il est seul avec un ami. Les Blancs passent devant lui. Emmanuel prend peur. Ils pouvaient jusque là en effet se défendre contre les attaques précédentes, ce quand bien même il avait déjà perdu son grand frère, ce quand bien même des vaches avaient également déjà été tuées et mangées. Quand il voit ces Blancs, ce n'est ni leur apparence ni leur style qui lui font peur, mais le fait que c'en est semble-t-il fini pour lui désormais des Basesero. La présence des Blancs explique ainsi pourquoi des hélicoptères ont atterri il y a peu dans la commune de Gishyita. Il s’agissait donc de venir en renfort à leurs tueurs. En dehors de ces voitures, les Blancs disposent d’une grosse arme posée sur un autre véhicule. Ils se servent toujours de la caméra pour leur permettre de regarder au loin. C’est vers la colline de Kanyinya que commencent les tirs, sur la colline de Gitwa, Kanyinya et Muyira. Tandis que les Blancs commencent à tirer et tuer à partir de Gitwa, Emmanuel reste à l’endroit où il se trouve. Les Blancs tirent vraiment. Toutes les collines de Bisesero sont peu à peu couvertes de cadavres. Quand bien même les tirs commencent vers Gitwa, les assaillants reviennent pourchasser les Tutsi qui continuent à courir, certains tombant devant Emmanuel. Les survivants tutsi sont très affaiblis et se heurtent aux miliciens qui les achèvent. C'est pour ça qu'il y a très peu de survivants. Emmanuel et son ami sont seuls au bord de la route, pensant alors qu’ils sont les seuls survivants. Si Emmanuel a ce jour la vie sauve, c’est parce que n’ayant pas été aperçu, on ne lui a pas tiré dessus. Emmanuel est le seul survivant d’une famille de neuf enfants. Il n’a pu voir leurs corps étant donné le nombre trop élevé de cadavres.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC SAMUEL NDENGIYINKA (RESCAPÉ) :

Témoignage de Samuel Ndengiyinka recueilli par Bruno Boudiguet le 15 avril 2013 à Kanyinya (Bisesero, Rwanda).

Résumé : Samuel a perdu tous ses enfants ainsi que sa compagne pendant le génocide. Il a perdu la plupart des gens avec qui il a tout partagé. Il a aujourd’hui une épouse. Avant le génocide, si les enfants de Samuel n'ont pas le droit d'aller à l'école, ils peuvent au moins s'occuper de leurs champs, de leurs vaches. Leur mère ainsi que Samuel se considèrent dès lors roi et reine, étant donné que des gens travaillent pour eux. Le 13 mai, Samuel se cache sur la colline de Nyarutovu. Si la plupart des Tutsi se cachent, surtout les plus jeunes, Samuel se tient lui près d'un arbre afin d’observer ce qui se passe. Il voit alors nombre de personnes sortir de véhicules. C’est à cet instant qu’il aperçoit des Blancs pour la première fois. Ces derniers mettent des choses sur leurs yeux [Samuel met ses mains autour de ses yeux], des choses qu’il considère être des appareils photos permettant de bien voir les Tutsi, avec lesquelles ils regardent au loin, dans plusieurs directions. Les Blancs tournent leur voiture. Samuel reconnaît également Ruzindana ainsi que Mika qui sont déjà passés par ici. Ruzindana est en présence de Blancs. Ce jour-là, il y a beaucoup de véhicules. Les assaillants viennent de Cyangugu, de Gisenyi, de Butare, de Gikongoro, de partout. Il y a beaucoup de militaires rwandais, ainsi que des Blancs venus attaquer les Tutsi, des Blancs dont la tenue ressemble à celle des militaires rwandais, si ce n’est que Samuel n’est pas assez près pour pouvoir le confirmer. C'est ce jour que sont vraiment tués les Tutsi. C’est ce jour que la plupart des membres de la famille de Samuel trouvent la mort. Le lendemain 14 mai, Samuel ne voit pas de Blancs. Lors des trois grandes attaques, Samuel participe à cacher la fille de Muganga qui, blessée, ne peut plus courir. Aussi a-t-il été creusé un trou où ils la mettent pendant la journée, ce qu’ils font en prenant soin de rajouter des pierres. Le soir, les survivants vont la chercher afin qu’elle ne meurt pas. Samuel ne sait pas comment les génocidaires ont su que cette fille était cachée, mais au cours des trois grandes attaques, Ruzindana et Mika arrivent avec des Blancs. Ils envoient des miliciens chercher la fille et la ramènent. Quand elle arrive, ils lui ordonnent d’enlever tout ce qu’elle porte afin de voir comment est faite une fille tutsi. Celle-ci refuse. Adolescente, elle a l’âge auquel on ne se dénude plus devant des inconnus. « Tu ne veux pas ? », s'énerve alors Ruzindana. Les Blancs sont là, observent ce qui se passe, sans pour autant nécessairement comprendre ce qui se dit. Alors Ruzindana dit à la fille : « Si tu refuses, on te tue. » L'enfant persiste à refuser, après quoi ils prennent un couteau et déchirent le petit vêtement qu'elle porte et qui est alors un peu déchiqueté, puis la transpercent avec le couteau. La fille meurt, après quoi ils la jettent au bas de la route. Après la première attaque Simusiga, Mika et Runzindana viennent chercher la propre fille de Samuel, la mettent dans la voiture où se trouvent Mika, Ruzindana ainsi que des Blancs, pas dans le but de la tuer mais afin qu'elle leur montre où les autres se cachent. Ils veulent se la garder pour voir comment sont faites les Tutsi [physiquement]. Samuel retrouvera son corps à Mugonero. Plus tard, Samuel revoit des Blancs accompagnés d'un certain Twagirayezu à Mu Byiha, l’endroit précis étant Kamina. C'est tout près de l'école primaire située à Mumubuga, au croisement. Twagirayezu ment aux Français à qui il dit que ce sont les Hutu qui sont tués par les Tutsi. Voilà pourquoi, selon Samuel, les Français ne veulent pas les aider. Les Français s’adressent aux Tutsi : « Restez dans vos cachettes. Dans trois jours, nous reviendrons vous sauver ». Alors les Tutsi leur montrent un jeune homme venant d'être tué [il est aujourd’hui enterré à Mu Byiha] : « Regardez, ils nous tuent ! » Les Français partent quand même, disant aux Tutsi qu’ils comptent revenir d’ici trois jours. Après le départ des Français, beaucoup de Tutsi trouvent la mort. Les assaillants viennent même la nuit. Les Tutsi ne savent plus où se cacher, leurs assaillants leur jetant des grenades.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC PASCAL NGOGA (RESCAPÉ) :

Témoignage de Pascal Ngoga recueilli par Bruno Boudiguet le 17 avril 2013 au Home Saint-Jean de Kibuye.

Pascal Ngoga détaille comment des soldats blancs ont participé au grand massacre génocidaire visant les Tutsi de Bisesero le 13 mai 1994, information qu'il n'avait pas indiqué à Serge Farnel en 2009. Ce dernier ne s'était alors pas intéressé de savoir s'il était témoin de cette présence de Blancs le 13 mai car aucun témoin ne l'avait alors encore mis sur cette piste d'enquête.

Résumé : La première grande attaque a lieu le 13 mai 1994. Une fois Pascal arrivé à Mumubuga, les assaillants se mettent vraiment à tirer. À Mumubuga, près de l'école primaire, il voit des Blancs dont il ne connaît alors pas la nationalité. Pour Pascal, on voit très bien celui qui est sur la colline d'en face. Il s’agit du seul endroit où il parvient à les voir. Il se met à courir en direction de la colline de Muyira, du somment de laquelle ils peuvent mieux se défendre. Muyira devient toutefois vite ce jour le théâtre d’un terrible spectacle, les tirs venant de partout. Aussi Pascal, ainsi que les Tutsi en général se mettent-ils à courir dans toutes les directions dans l’espoir de se cacher. Ces terribles attaques de la mi-mai s’étendent sur trois jours, jusqu’au 15 mai. Ceux du TPIR qui sont venus à Bisesero ne s'intéressaient qu'au dossier concernant un accusé rwandais. Pascal ne leur a alors pas parlé des Blancs du 13 mai mais seulement de cet homme. La déposition s’est ensuite faite à Kigali, Pascal étant interrogé par un Blanc français du TPIR. On lui a fourni un ticket de transport. Il y avait là un juge, un substitut, deux traducteurs. Pascal pense se souvenir lui avoir parlé des Blancs du 13 mai. Pascal tente d’expliquer pourquoi il ne parle que maintenant des Blancs du 13 mai. La première raison, la plus importante, est qu’il a un temps ignoré les dates. Ils étaient alors comme fous. C’est lorsqu’ils ont enterré les leurs qu’ils ont essayé de restituer les dates. C’est à cet instant seulement qu’ils ont commencé à se remémorer certaines choses. Quant à la raison pour laquelle ils n’ont pas dit que des Blancs avaient participé au massacre du 13 mai, c’est selon Pascal parce qu'à cette époque, ça ne les intéressait pas de savoir qui avait ou non tiré. Ils savaient que les Blancs étaient là de tout temps. Ce n'était donc pas la peine de le dire, sauf quand quelqu'un prend la peine de venir leur poser la question de l’identité des tireurs. Dans ces conditions, ils peuvent être amenés à se souvenir de ce qui s'est passé. Mais à l’époque, ça n'était pas leur souci. Ils étaient morts, exterminés.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC RIBANJE MUNYAMPETA (RESCAPÉ) :

Témoignage de Ribanje Munyampeta recueilli par Bruno Boudiguet le 18 avril 2013 au cours d’une reconstitution à Gititi.

Résumé : Le 13 mai 1994, Ribanje Munyampeta se trouve sur la colline de Gititi. Sur la colline de Kanyinya se trouve posté un gros fusil. Plutôt tard dans la matinée, en tout cas pas très tôt, Ribanje y aperçoit de nombreux Blancs avec leur grosse chose regarder partout. Ribanje part en courant sur la colline de Muyira où les Tutsi se font exterminer. Pendant l'attaque Simusiga (13 mai), Ribanje a compris que les Blancs sont leurs ennemis. Mais ils viennent cette fois en se faisant passer pour leurs amis (27 juin), les assurant qu’ils vont les protéger, qu'ils vont leur donner à manger, qu'ils ont compris leur peine, ce alors qu'ils sont simplement en train de leur mentir. C'est ainsi que le peu de survivants vont trouver la mort après leur départ. Ce qui fait mal aujourd’hui à Ribanje, c'est que les Français sont donc parvenus à leur mentir en leur disant : « Nous avons changé, aujourd'hui nous sommes vos amis », alors que ce n’était qu’une façon de continuer à les tuer.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC PASCAL NKUSI (RESCAPÉ) :

Témoignage de Paxcal Nkusi recueilli par Bruno Boudiguet le 18 avril 2013 à Gishyita (Rwanda).

Résumé : Le 13 mai 1994, Pascal ainsi que d’autres Tutsi se trouvent sur la colline de Gitwa, sur la route allant vers l'école. De là, Pascal peut voir des gens monter de Gishyita. D'autres viennent de derrière une autre colline sur laquelle Pascal sait que se trouve Karamaga. Certains des assaillants ont des machettes, d'autres des fusils, d’autres encore des grenades. Tous ont des armes, et pas seulement ceux qui viennent de Gishyita ou de Gisovu. Les Tutsi sont cernés. Il y alors beaucoup de voitures. Alors qu’il court vers Muyira, Pascal aperçoit deux Blancs à l’avant d’un bus. L’attaque débute dans la matinée, entre 8h et 10h. Alors que les Tutsi sont constamment attaqués depuis le mois d'avril, l’attaque de ce jour est différente des précédentes en ce qu’ils sont ce jour attaqués de plusieurs côtés. Il ne s’agit ainsi pas d’une seule attaque, mais de plusieurs attaques venant de partout. Quand les assaillants lancent leurs projectiles, Pascal voit la montagne se déchirer, les Tutsi présents aux endroits sur lesquels ils atterrissent tombant alors avec la poussière. Quand Pascal voit de nouveau des Blancs fin juin, cette fois-ci de très près, ils sont venus en voiture. Ces derniers lui disent qu’ils sont venus à Bisesero pour avoir appris qu’il y avait des gens en train d'être tués. Ils disent alors être là pour les sauver, les protéger. Ils sont toutefois en compagnie d'un enseignant, Twagirayezu. Le lendemain, Pascal voit un hélicoptère survoler le ciel comme s'il était sur le point de toucher la terre, ce toutefois sans atterrir. Des hélicoptères viennent ensuite le 30 juin chercher les Tutsi. Pascal part avec l'un d'eux pour aller se faire soigner à Goma. Quand les Tutsi arrivent à Goma, les médecins font semblant de vouloir les soigner, car pour Pascal, leur but n’est pas vraiment de les soigner. Ce dernier tente d’aider les Tutsi étant donné que les médecins veulent aller jusqu’à amputer le membre de ceux qui n’y ont pourtant qu’une petite plaie. Pascal et d’autres Tutsi sont obligés d'aller à Kituku, étant donné qu’il s’agit maintenant à Goma de soigner les nombreux militaires rwandais qui, au front, combattent le FPR. Or ces nouveaux blessés se mélangent aux Tutsi, ce qui s’avère être très dangereux. D'ailleurs personne ne s'occupe alors plus des Tutsi, la priorité étant de soigner les militaires rwandais blessés.

Pascal a, avant cette interview, déjà témoigné sur l’attaque du vendredi 13 mai sans insister sur ceux qui les attaquaient. À cette époque, il ne savait pas qui étaient ces Blancs du 13 mai, en tout cas pas que c’étaient des Français. S’il a insisté, dans les témoignages qu’il a livrés, sur les attaques d'après le 27 juin, c'est parce qu’il savait que c'étaient des Français, ces derniers ayant eu le temps de parler avec eux, allant jusqu’à indiquer leur nationalité. Pascal n’a pas parlé des Blancs du 13 mai au TPIR. Il y est allé deux fois, à propos de Musema et de Niyitegeka. Or les magistrats du TPIR ne laissent pas vraiment le choix au témoin de dire autre chose que ce pour quoi il est ici, ne lui posant de questions que relatives à l’accusé, si bien que le témoin n’a pas vraiment le temps ou le droit de dire autre chose. Il doit parler de l'accusé.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC PHILEMON HAKIZIMANA (RESCAPÉ) :

Témoignage de Philémon Hakizimana (rescapé) recueilli par Bruno Boudiguet le 18 avril 2013 à Kanyinya (Bisesero, Rwanda)

Résumé : Au moment du génocide, Philémon a 25 ans, et vit alors dans la commune Gishyita, secteur Bisesero, cellule Gitwa, où il est né. Philémon se trouve sur la colline Nyiramakware au moment de la grande attaque Simusiga. C'est un endroit où nombre de Tutsi aiment se réfugier, car il y a là une forêt où il est facile de se cacher. Quand les assaillants arrivent, Philémon s’y cache comme d'habitude avec d’autres Tutsi. Normalement ces derniers se regroupent afin de mieux se défendre, mais quand l’attaque commence, ils se voient dans l'impossibilité d’assurer leur défense, tant leurs assaillants qui viennent de partout sont nombreux. En fait, ils sont cernés par l'ennemi. Leurs assaillants tirent tellement sur eux que les grenades et les balles les font sortir de leurs cachettes de fortune. Beaucoup d’entre eux trouvent ainsi la mort. Philémon ainsi que d’autres Tutsi parviennent à échapper à ces tirs. Ils arrivent en courant à Mumubuga près de l'école primaire, où ils s’arrêtent. C'est là que Philémon aperçoit des Blancs. Les Blancs regardent autour d'eux. Ils ont des sortes de caméras dont il ne sait pas s’ils les utilisent pour filmer ou bien simplement observer. De « gros fusils » sont également postés sur la montagne, ce tandis que d'autres fusils sont eux portés à l'épaule. Philémon ne saurait dire si les Blancs sont alors eux-mêmes derrière ces gros fusils, ni même s’ils tirent. Il faut dire qu’il est en train de courir, ce toutefois avant d’être atteint par une balle, après quoi il se met à boiter. Autrement dit il est difficile pour lui de voir quoi que ce soit. Une grande partie des Tutsi de Bisesero trouvent la mort ce jour. Le lendemain [14 mai], Philémon est blessé à la poitrine, ce qui l’empêche dorénavant de courir dans les montagnes comme le font les autres, de se défendre ou bien de fuir. C’est pourquoi il entreprend de se cacher dans un buisson d’où on ne peut pas le voir. Le soir, une fois leurs assaillants repartis, on dit à Philémon : « C'est terrible, même aujourd'hui, on a vu les Blancs, les Blancs qu'on a vus hier. » Après le 13 mai, c’est le 27 juin que Philémon voit des Blancs pour la deuxième fois. Ces derniers leur disent ce jour vouloir les sauver. Ceux qui peuvent marcher viennent chercher Philémon ainsi que d’autres Tutsi, leur disant donc que les Blancs sont là, soit pour les sauver, soit pour les tuer, mais que s'il faut mourir, il faut mourir. Ils amènent Philémon jusqu'à eux. C’est ainsi que ce dernier aperçoit les Blancs. La rencontre se passe sur la colline de Gisoro, précisément à un endroit nommé Mu Byiha. Les Blancs leur donnent trois jours. Après le départ des Blancs, beaucoup de Tutsi trouvent la mort, les attaques se faisant beaucoup plus terribles et plus nombreuses que les précédentes, sans compter celle de mai qui fut la plus forte. Après, ce ne fut plus si terrible, les Tutsi parvenant même à se défendre. Nombre de Tutsi qui avaient survécu au massacre du 13 mai vont toutefois mourir au cours des trois jours de la fin juin. Les Blancs reviennent le 30 juin. C’est alors la première fois que Philémon aperçoit des hélicoptères. Il fait partie des blessés amenés à Goma. Ceux qui sont plus ou moins bien restent eux sur la colline de Rwirambo. Pour Philémon, le but des médecins de Goma n’est pas vraiment de les soigner, mais peut-être bien de les tuer. Quand lui et les autres Tutsi arrivent à Goma, les médecins amputent par exemple la totalité du bras d’un Tutsi qui n’a pourtant été touché par balle qu’au doigt. Philémon s’est fait tirer sur le pied. La blessure est une blessure de rien du tout. Mais les médecins lui proposent d'amputer sa jambe. Philémon refuse. Les médecins lui rétorquent alors qu’il se prend pour plus médecin qu'eux, après quoi ils refusent de le soigner à la poitrine où il a également été touché. [Bruno Boudiguet observe la blessure de Philémon : « On voit que la balle a traversé sa cheville d'un bout à l'autre, mais la cicatrice est toute petite. »] Les Blancs couvrent hommes et femmes de filets transparents, les exposant ainsi sur le bord de la route, de telle sorte que tout le monde peut les voir dans cet état, ce qui est humiliant. Après Goma, Philémon est amené à Kituku, toujours au Congo. Philémon est, avec d’autres Tutsi, renvoyé au Rwanda : après être passé par Gisenyi, ils marchent jusqu'à Kigali où Philémon se fait soigner étant donné qu’il ne l’a pas été à Goma. Pour Philémon, quand les Blancs sont revenus, après le 13, pour dire aux Tutsi qu'ils comptent les sauver, certains Tutsi dont Philémon commencent à se dire qu’ils se sont peut-être trompés sur leur compte.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC STRATON SINZABAKWIRA (BOURGMESTRE GÉNOCIDAIRE) :

Témoignage de Straton Sinzabakwira (bourgmestre génocidaire) recueilli par Bruno Boudiguet le 30 avril 2013 à Mpanga (Rwanda)

Résumé : Membre du bureau politique du PSD (parti d’opposition), bourgmestre de Karengera (Cyangugu) à compter de mai 1993 et pendant le génocide, Straton a 33 ans au moment du génocide. Il témoigne de la présence de la formation de miliciens par des soldats français pendant l’opération Noroît. Ce n’est que plus tard qu’il comprendra qu’il s’agissait de préparer le génocide. Après le retrait officiel des militaires de l'opération Noroît, un groupe d'experts français, surtout en artillerie, restent au Rwanda, continuant à coopérer, que ce soit au front ou dans les entraînements des Interahamwe. Straton les voit circuler avec leurs jeeps à Kigali en compagnies officiers rwandais ou bien dans les cabarets. Les artilleurs français restent au Rwanda tout au long du génocide. Le 15 avril, Straton constate la présence de trois militaires français à la barrière giti cy’ikinyoni située à la sortie de Kigali. Le site de Murambi, où le gouvernement s'est installé, est gardé par des militaires rwandais. Sont également présents des militaires français qui passeront plus tard par Gikongoro où ils rejoindront leurs collègues de l'opération Turquoise. Le 25 avril, Straton participe à une réunion préfectorale au cours de laquelle Yusufu Munyakazi, alors en contact avec Obed Ruzindana, fait savoir qu'à Bisesero les Tutsi sont devenus si forts qu'ils massacrent les Hutu. Aussi la décision est prise d’envoyer les miliciens de Yusufu en renfort. Straton donne l'ordre de donner à Yusufu des armes, des fusils, de lui procurer des véhicules. Yusufu et ses miliciens partent le 27/28 avril en direction de Bisesero. Straton participe à superviser des réunions lors du génocide dont l’ordre du jour est la façon de venir à bout d’une résistance au génocide à tel ou tel endroit et à l’issue desquelles est prise la décision de recourir aux armes lourdes. Les militaires rwandais, en coopération avec les Français, ont justement des armes lourdes qu'ils utilisent sur le front de l’Umutara ou de Ruhengeri, et qui sont ainsi également utilisées pour massacrer des réfugiés, notamment au Murambi de Gikongoro. Chez Straton, à Gashirabwoba, sont utilisés des canons sans recul ainsi que des mortiers, entraînant la mort de trois à quatre mille personnes. À Bisesero, pour pouvoir anéantir la résistance, les génocidaires ont également recours aux armes lourdes. Lors de la grande attaque de Bisesero avant laquelle les Abasesero sont encore très nombreux, Straton voit passer le groupe de Munyakazi. Les soldats de l'armée rwandaise coopérant avec les Français, ils ne peuvent pas, selon lui, avoir mené une telle attaque sans avoir reçu des conseils de leurs collaborateurs. Constatant le comportement des soldats de Turquoise, les mots qu'ils échangent, leurs attitudes sur les barrières où l'on trouve des Tutsi enchaînés puis fusillés alors qu’eux passent, comme ça, en soutenant les milices, Straton est convaincu qu'ils ne peuvent pas ne pas avoir participé d’une manière ou d’une autre à la grande attaque du mois de mai à Bisesero. Aux environs du 22 juin, lorsque les militaires français de l'opération Turquoise arrivent à Cyangugu, ils incitent aux barrières à massacrer les Tutsi, enseignant comment faire en sorte que les cadavres ne puissent remonter à la surface quand on les jette dans l'eau du lac. Un jour de la fin juin, Straton aide un Tutsi avec qui il a fait l'école secondaire à fuir vers le Burundi. Le commandant de l'armée, le lieutenant Samuel, dénonce alors Straton aux militaires français qui viennent chez lui le tabasser. Au moment du déploiement de l’opération Turquoise, on prétend que les artilleurs français restés au Rwanda pendant le génocide font partie de la mission Turquoise, ce alors que, selon Straton, cette opération n’a fait que les retrouver au pays. Le 27 juin, le chef de Turquoise, Lafourcade, dit à Straton qu’ils les soutiennent, qu'ils leur fourniront armes et munitions de telle sorte que le FPR ne s'empare pas du pouvoir. Straton a fait de la prison avec Jean-Baptiste Twagirayezu qui lui a raconté qu’une fois les Tutsi de Bisesero débusqués que les Français sont restés aux alentours, donnant des ordres afin de guider ceux qui ont participé à l’assaut. Quand l'attaque du FPR a pris le dessus , les Français ont incité les Hutu, parfois par la force, à se réfugier au Zaïre. Quand Straton arrive au Zaïre, les militaires français amènent dans les camps des caisses de fusils M16 qu’ils distribuent aux FAR pour qu'ils puissent attaquer et revenir au pouvoir. Straton participe à des réunions de planification de la reconquête du pouvoir. Tout cela se passe au cours des mois de septembre à décembre 1994, et ce jusqu'en 1995. Au cours de cette période, les attaques sont nombreuses aux environs de Cyangugu, de Gikongoro, de Kibuye et de Gisenyi.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC VINCENT KARANGWA (RESCAPÉ) :

Témoignage de Vincent Karangwa (rescapé) recueilli par Bruno Boudiguet en novembre 2013 au Rwanda.

Résumé: Vincent Karangwa est sur la colline de Kashyamba, tout près des écoles. Les tirs commencent vers dix heures. Nyiramakware est juste en dessous de Kashyamba. Ils commencent à tirer sur Nyiramakware, Vincent Karangwa parvenant, de là où il se trouve, à entendre les tirs sur Nyiramakware. Les gros tirs sont à Nyiramakware, après quoi les tueurs de Nyiramakware se rendent vers Kashyamba et tirent à cet endroit. Quand Vincent Karangwa les voit arriver à Kashyamba, il s’enfuit en courant dans la vallée, tandis qu’on leur tire dessus. Vincent Karangwa pense qu’ils se sont alors divisés pour tirer sur les collines. Au moment où il monte en direction de Kagari, un tir atteint Kashyamba tuant une personne sur le coup, sa tête devenant semblable à de la viande hachée. Si Vincent Karangwa a jusqu’à présent pris l’habitude de ces tirs susceptibles de leur couper le bras ou la jambe, c'est toutefois la première fois qu'il voit une chose pareille. Au départ, Vincent Karangwa n’est pas tout près de la route. Mais au moment où il quitte l'endroit où il se trouve pour rejoindre les autres Tutsi, il aperçoit un Blanc en tenue militaire parmi les gens qui tirent. Le Blanc est au milieu de policiers, sur la route de Kashyamba. C’est ce groupe qui a atteint la personne alors à côté de Vincent Karangwa sans que ce dernier ne sache qui a tiré. C'est la première fois qu’il voit ce type d'arme. Il est alors à peu près 13h30 ou 14h. Vincent Karangwa vit à cet instant à son tour ce que ceux de Nyiramakware viennent de vivre. Vincent Karangwa parvient à se cacher dans la vallée. Les miliciens repartent souvent vers 15h.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC ADRIEN KANAMUGIRE (RESCAPÉ) :

Témoignage d"Adrien Kanamugire (rescapé) recueilli par Bruno Boudiguet en novembre 2013 au Rwanda.

Résumé: Adrien Kanamugire a 19 ans au moment du génocide et vit dans la commune Gishyita, secteur Bisesero, cellule Jurwe. Adrien voit un hélicoptère avant le grand massacre et que la mort est proche, que quelque chose de gros se prépare. Le 13 mai, Adrien se trouve sur la colline de Gatwa, en face de Nyiramakware. Il participe à surveiller l'arrivée des assaillants lorsqu’il voit des bus arriver. Il est alors entre 10h et 11h. Les bus montent vers leurs positions par une route venant de Nyarutovu. Les autres assaillants venus eux de Mubuga les refoulent vers Nyamiheno, une colline située entre Gititi et Muyira que l’on traverse avant d'arriver à Muyira. Voyant les assaillants monter tout en chantant « Tuez-les tous ! Faisons-les sortir de leurs buissons, de leurs cachettes ! », il s’enfuit afin d’éviter une confrontation. Arrivés un peu avant Muyira, il constate que tous ceux qui étaient dans les bus en sont déjà descendus et sont maintenant en train de fouiller les buissons de Muyira. Il change de cap et descend dans les marais avant de remonter à Nyamasovu. C’est alors que, se trouvant confronté à une autre attaque, il prend la direction de Cyanamahanga. Il traverse la Rusumo et monte en direction de la colline de Gahabuga. Voyant qu’il est encerclé par les assaillants, il se dirige vers le centre Somerwa, dont le surveillant Karakezi assure la sécurité. Il y a également là d'autres policiers travaillant alors à la commune de Gishyita et originaires du secteur Musenyi, parmi lesquels les policiers Ruhindura et Rwigimba. Ce n'est pas leur base, mais ils sont originaires de l’endroit. Adrien Kanamugire n’a pas l'intention d'y chercher refuge et continue jusqu'à la colline de Rwakamena où il est à nouveau confronté à une attaque. Aussi se dirige-t-il vers Cyamaraba où une autre attaque est lancée à partir de Gisovu. Les Tutsi peuvent contourner une colline plus de vingt fois par jour. Au moment où Adrien Kanamugire est pour la deuxième fois à Muyira, alors qu’il est aux alentours de 17 heures, 18 heures, il aperçoit sur Rwirambo deux Blancs en tenue militaire au milieu de militaires rwandais. Ils sont avec les tueurs. Il ne sait pas s’il y en a plus, étant donné qu’il n’ose alors regarder derrière lui. Aussi ne sait-il pas non plus s’ils tuent eux-mêmes. Adrien Kanamugire monte enfin la colline de Runyangingo, traverse la route. C'est alors la tombée de la nuit. Les bus commencent à repartir.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC AUGUSTIN NZABAHIMANA (RESCAPÉ) :

Témoignage d’Augustin Nzabahimana (rescapé) recueilli par Bruno Boudiguet en novembre 2013 au Rwanda

Résumé: Augustin Nzabahimana a 21 ans au moment du génocide. Un camion de la Croix-Rouge arrive avant la grande attaque, vers la fin du mois d'avril. Ils font alors savoir qu’ils entendent construire de nouvelles maisons. Il n’y alors pas de Blanc. Il s’agit de l’épisode au cours duquel Rusanganwa s’adresse aux autorités qui cherchent alors à les duper. Rusanganwa discute alors avec Ruzindana en présence du camion de la Croix-Rouge. Les Tutsi pensent que la guerre est maintenant terminée et prennent des houes afin d’aller cultiver dans les marais. Le matin de l’attaque [du 13 mai],Augustin monte très tôt à Muyira, là où des pasteurs prient pour eux, les gens de toutes les religions venant s’y rassembler pour prier. C'est cet endroit qu’ils ont choisi pour base. Alors qu’il se trouve sur Muyira, Augustin aperçoit des Blancs. Ils sont dans des véhicules aux vitres fumées ainsi que dans des autobus dans lesquels ont pris place des Interahamwe. Il semble que tous les bus du Rwanda se sont rassemblés ce jour à Bisesero. Certains Tutsi s’en vont guetter là où ils peuvent, de tous les côtés, les autres se postant à certains endroits pour voir d'où sont susceptibles de venir les attaques. Après la semaine d’accalmie a lieu une grande attaque. L’attaque commence à huit heures du matin. Augustin est alors toujours sur Muyira quand il voit des Blancs, dont il ne peut dire s’ils sont ou non des Français, arriver en véhicule et s’arrêter à Rwirambo. Ils commencent alors à leur tirer dessus de concert avec les soldats des FAR. L’attaque commence avec un bombardement. C'est la première fois qu’Augustin voit des lance-grenades. On leur envoie des Stream. Des grenades sont lancées sur les Tutsi tandis qu’on leur tire dessus. Les Blancs ont des fusils ainsi que les miliciens et les militaires. Augustin ne connaît alors rien des armes. Le seul fusil qu’il est capable de reconnaître est un rubaho utilisé par les policiers. Les Tutsi sont nombreux. Ils courent à travers toutes les collines. Ce jour-là, la première victime est la fille Gasura. La deuxième est Rwamalika qui habite Nyakigugu. Augustin descend vers Karongi. Arrivé au sommet de Karongi, il aperçoit un véhicule contenant douze militaires se mettant également à leur tirer dessus. Tout près du camp de Kiziba, Augustin est contraint de descendre jusqu’aux marais. Arrivés à Garahuga, il constate que ceux qui les machettent ne sont plus qu’une cinquantaine. Beaucoup d’entre eux trouvent la mort sur la colline de Kiziba. Les Interahamwe les font descendre tout en les tuant à coup de machettes. Il y alors autant de cadavres que d’eucalyptus. Augustin se casse la jambe, après quoi il se cache à Nyiramakware. Les Blancs ne restent pas près de la route, mais s’approchent des Tutsi. Ils accompagnent les tueurs rwandais munis de grenades et de Stream. Ils descendent sur Nyiramakware et s’approchent des Tutsi dont ils sont maintenant tout près, jusqu’à même se trouver au milieu d’eux, dans les Pinus. Les tueurs rwandais avec qui ils se déplacent vont jusqu’à toucher certains Tutsi avec leurs baïonnettes. Gorette, une enseignante, est ainsi poignardée au niveau du sein et trouve la mort sur le coup. Quant aux tueurs, ils partent avec ses habits. Gorette est immédiatement enterrée. Arrivé à Garahuga, Augustin subit une attaque venue de Rubazo et traverse Kibingo avant de retourner à Muyira. Il y arrive à 18 h. Il descend pour voir sa maison - les routes n'étant pas parsemées de barrière étant donné qu’il s’agit de collines tutsi – et parvient à se déplacer et à trouver à manger pendant la nuit.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC EMMANUEL KAREBANA (RESCAPÉ) :

Témoignage d’Emmanuel Karebana (rescapé) recueilli par Bruno Boudiguet en novembre 2013 au Rwanda.

Résumé: Augustin Nzabahimana a 21 ans au moment du génocide. Un camion de la Croix-Rouge arrive avant la grande attaque, vers la fin du mois d'avril. Ils font alors savoir qu’ils entendent construire de nouvelles maisons. Il n’y alors pas de Blanc. Il s’agit de l’épisode au cours duquel Rusanganwa s’adresse aux autorités qui cherchent alors à les duper. Rusanganwa discute alors avec Ruzindana en présence du camion de la Croix-Rouge. Les Tutsi pensent que la guerre est maintenant terminée et prennent des houes afin d’aller cultiver dans les marais. Le matin de l’attaque [du 13 mai],Augustin monte très tôt à Muyira, là où des pasteurs prient pour eux, les gens de toutes les religions venant s’y rassembler pour prier. C'est cet endroit qu’ils ont choisi pour base. Alors qu’il se trouve sur Muyira, Augustin aperçoit des Blancs. Ils sont dans des véhicules aux vitres fumées ainsi que dans des autobus dans lesquels ont pris place des Interahamwe. Il semble que tous les bus du Rwanda se sont rassemblés ce jour à Bisesero. Certains Tutsi s’en vont guetter là où ils peuvent, de tous les côtés, les autres se postant à certains endroits pour voir d'où sont susceptibles de venir les attaques. Après la semaine d’accalmie a lieu une grande attaque. L’attaque commence à huit heures du matin. Augustin est alors toujours sur Muyira quand il voit des Blancs, dont il ne peut dire s’ils sont ou non des Français, arriver en véhicule et s’arrêter à Rwirambo. Ils commencent alors à leur tirer dessus de concert avec les soldats des FAR. L’attaque commence avec un bombardement. C'est la première fois qu’Augustin voit des lance-grenades. On leur envoie des Stream. Des grenades sont lancées sur les Tutsi tandis qu’on leur tire dessus. Les Blancs ont des fusils ainsi que les miliciens et les militaires. Augustin ne connaît alors rien des armes. Le seul fusil qu’il est capable de reconnaître est un rubaho utilisé par les policiers. Les Tutsi sont nombreux. Ils courent à travers toutes les collines. Ce jour-là, la première victime est la fille Gasura. La deuxième est Rwamalika qui habite Nyakigugu. Augustin descend vers Karongi. Arrivé au sommet de Karongi, il aperçoit un véhicule contenant douze militaires se mettant également à leur tirer dessus. Tout près du camp de Kiziba, Augustin est contraint de descendre jusqu’aux marais. Arrivés à Garahuga, il constate que ceux qui les machettent ne sont plus qu’une cinquantaine. Beaucoup d’entre eux trouvent la mort sur la colline de Kiziba. Les Interahamwe les font descendre tout en les tuant à coup de machettes. Il y alors autant de cadavres que d’eucalyptus. Augustin se casse la jambe, après quoi il se cache à Nyiramakware. Les Blancs ne restent pas près de la route, mais s’approchent des Tutsi. Ils accompagnent les tueurs rwandais munis de grenades et de Stream. Ils descendent sur Nyiramakware et s’approchent des Tutsi dont ils sont maintenant tout près, jusqu’à même se trouver au milieu d’eux, dans les Pinus. Les tueurs rwandais avec qui ils se déplacent vont jusqu’à toucher certains Tutsi avec leurs baïonnettes. Gorette, une enseignante, est ainsi poignardée au niveau du sein et trouve la mort sur le coup. Quant aux tueurs, ils partent avec ses habits. Gorette est immédiatement enterrée. Arrivé à Garahuga, Augustin subit une attaque venue de Rubazo et traverse Kibingo avant de retourner à Muyira. Il y arrive à 18 h. Il descend pour voir sa maison - les routes n'étant pas parsemées de barrière étant donné qu’il s’agit de collines tutsi – et parvient à se déplacer et à trouver à manger pendant la nuit.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC EVARISTE NTIRENGANYA (RESCAPÉ) :

Témoignage d’Evariste Ntirenganya (rescapé) recueilli par Bruno Boudiguet en novembre 2013 à Bisesero (Rwanda)

Résumé: Evariste Ntirenganya a 14 ans au moment du génocide et vit à Muyira, cellule Uwingabo. Evariste Ntirenganya ne voit pas de Blancs avant la grande attaque. Vers 7h30 – 8h, le 13 mai, Evariste Ntirenganya se cache au sommet pour être en mesure de voir arriver les assaillants. Evariste Ntirenganya aperçoit des Blancs avec les Interahamwe. Ils ont des fusils. Les Interahamwe tirent. Evariste Ntirenganya ne sait pas si les Blancs tirent aussi, mais ils sont ensemble. Il ne peut pas préciser leur nombre. Alors qu’il se trouve sur Muyira, il les voit quitter Uwingabo et venir dans sa direction. Il voit des Blancs sur la colline de Rwirambo. Ce n'est pas tout près, mais quand les voitures les déposent sur la route de Rwirambo, les Blancs vont dans leur direction et c’est alors qu’il est en mesure de les distinguer. Le lendemain [14 mai], Evariste Ntirenganya voit également des Blancs en tenue militaire le lendemain si ce n’est qu’ils ne viennent pas du même endroit que la veille. Tandis qu’ils les a vus la veille descendre, il les voit ce jour monter de l'autre côté, sur la colline de Gitwa vers laquelle il est en train de fuir en courant. Après la dernière attaque du génocide [fin juin], Evariste Ntirenganya se rend à Rambura en camion. Les Français les couvrent, aucun d’entre eux n’ayant le droit de regarder dehors. Ils sont convoyés comme s’il s’agissait d’un transport de vivres, d’objets et non de personnes. S’il ne voit pas de mort, il entend des gens avoir mal et crier.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC ÉZECHIEL NDAYISABA (RESCAPÉ) :

Témoignage d’Ézéchiel Ndayisaba (rescapé) recueilli par Bruno Boudiguet en novembre 2013 au Rwanda.

Résumé: Ézéchiel Ndayisaba a 34 ans au moment du génocide et vit dans la commune Gishyita, secteur Bisesero, cellule Gitwa (ou Uwingabo). Le 13 mai, l’attaque commence à 11 h. Ézéchiel Ndayisaba vient de passer la nuit dans une maison sans toiture, une maison qui a alors déjà commencé à être détruite. Sa maison se trouve dans la cellule Gitwa. Les premiers assaillants arrivent aux alentours de 10 h. Le matin, à son réveil, il fuit un peu partout les attaques, pour au final arriver à Muyira où il essaie de se défendre pour ne pas se faire couper la tête. Les Tutsi tentent de se défendre en jetant des pierres. Mais on leur tire dessus à l’aide de gros fusils. Ces fusils avaient déjà été utilisés au début du génocide ainsi donc que pendant la grande attaque. La différence, c'est que le 13 mai, nombreux sont les bus qui amènent des tueurs, y compris des Blancs en tenue militaire. Ézéchiel Ndayisaba en voit à peu près quatre. Ces Blancs repoussent les Tutsi en leur tirant dessus. Lorsque ces derniers tentent de fuir, ils les poursuivent en continuant à leur tirer dessus. Avant de tirer, les Blancs donnent un signal convenu à l’avance aux autres assaillants afin que ces derniers se mettent de côté, après quoi ils visent les Tutsi alors regroupés au même endroit. Les tueurs se distinguent aussi par leur tenue. Ceux en provenance de Cyangugu ont sur eux des feuilles de banane, ceux de Gishyita et Mubuga ont des feuilles de café, ceux de Gisenyi et Ruhengeri des feuilles de bambou. Les feuilles sont au niveau du cou. Ils ont porté ça dès le début. Les FAR portent leur uniforme. Quant aux miliciens, ils portent des vêtements à dominante blanche. Ézéchiel Ndayisaba court de colline en colline, contourne notamment Karongi et Rubazo. Le soir, Ézéchiel Ndayisaba s’en va voir s'il y a des survivants. Il en trouve et retourne avec eux dans leur ancienne parcelle où ils dorment. Ils parlent alors de l'attaque, évoquent la présence des Blancs sans toutefois s'attarder sur le sujet. Ils expriment surtout leur chagrin et évoquent le caractère critique de la situation. Ézéchiel Ndayisaba perdu tous les siens le 13. Il ne lui reste que son petit frère. Il a perdu 39 personnes de sa famille. Ils ne sont que deux survivants.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC GASPARD NZABAHIMANA (RESCAPÉ) :

Témoignage de Gaspard Nzabahimana (rescapé) recueilli par Bruno Boudiguet en novembre 2013 au Rwanda.

Résumé: Gaspard Nzabahimana a 17 ans au moment du génocide et vit dans le secteur Bisesero, cellule Gitwa. Quand arrivent les assaillants pas très tôt le 13 mai, ils se mettent à tirer dans la direction de Muyira où se trouve Gaspard Nzabahimana. Ils tirent avec des projectiles très lourds, que gaspard compare à des bombes. Mais il ne connaît pas le type exact de ces armes. Gaspard Nzabahimana est loin, mais aperçoit des gens ressemblant à des Blancs aux côtés des Interahamwe. Une fois les miliciens repartis, Gaspard Nzabahimana a pris l’habitude de souvent rencontrer les autres Tutsi le soir en marchant au bord des routes. Certains d’entre eux font savoir qu’ils ont vu ce 13 mai des Blancs dans des véhicules le long de la route. Au cours des trois jours d’attaque de la fin juin, Gaspard Nzabahimana voit des hélicoptères survoler leurs collines, sans pour autant connaître leur mission. Chacun vit alors son histoire, les Tutsi n’étant pas toujours ensemble. Quand il les voit, il se dit que peut-être des gens viennent les sauver, mais il ne sort pas pour autant de sa cachette.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC INNOCENT MUKESHYIMANA (RESCAPÉ) :

Témoignage d’Innocent Mukeshyimana (rescapé) recueilli par Bruno Boudiguet en novembre 2013 au Rwanda.

Résumé: Innocent Mukeshyimana a 11 ans au moment du génocide et vit dans le secteur Rwankuba, cellule Bisesero. Le 13 mai, entre 6h30 et 7h. Contrairement aux autres attaques, des fusils ont cette fois été installés sur les collines et pointent vers Muyira. Les gros fusils tirent en direction de Muyira. Ce ne sont pas les fusils traditionnels des policiers. Ils sont vraiment gros. La tante d’Innocent Mukeshyimana essaie, avec ses trois enfants, de se rendre à Muyira, mais sont tués par les tirs et meurent sur le coup. Ce sont de grosses armes au point qu’Innocent Mukeshyimana perd ses frères et sœurs pourtant alors au sommet de Muyira. Innocent Mukeshyimana ne distingue pas vraiment ceux qui tirent. Il entend toutefois dire qu’il y a des Blancs. Il est encore jeune. Ses grands frères, dont la plupart sont morts, essayent de lutter comme ils le font depuis le début du génocide. Mais alors qu’ils tentent de se défendre, Innocent Mukeshyimana les voit revenir en courant les entendant dire : « Non, non, non, non ! Cette fois, ce n'est pas comme les autres fois. On a vu des Blancs ! » Innocent Mukeshyimana ne les voit pas lui-même. S’ils essayaient jusque-là de se mélanger aux miliciens quand ces derniers venaient essayer de les tuer, cette fois-ci, ils reviennent en courant en disant que parmi les gens qui tirent, il y a aussi des Blancs : « Cette fois-ci c'est la fin ! », disent-ils.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC JEAN NTIRENGANYA (GÉNOCIDAIRE) :

Témoignage de Jean Ntirenganya (génocidaire) recueilli par Bruno Boudiguet en novembre 2013 à Mubuga (Rwanda)

Résumé: Jean Ntirenganya a 22 ans au moment du génocide et vit dans la cellule Kidaho, secteur Rubazo, commune Gitesi. Jean Ntirenganya sait que des réunions ont eu lieu à Mubuga avant le massacre mais ne s’y est pas rendu. Le seul qui y va est Twagirayezu qui revient informer à Jean Ntirenganya et d’autres génocidaires de la date à laquelle ils vont devoir participer à l'attaque. Jean Ntirenganya part de Rubazo, une colline vraiment voisine des collines de Bisesero à tel point qu’on peut voir, de Rubazo, les vaches sur les collines de Bisesero, seule une petite rivière les séparant. Jean Ntirenganya voit participer des Blancs à la grande attaque. Leur guide est alors l’enseignant Twagirayezu. Les Blancs sont aussi en compagnie de dirigeants de l'époque. Jean Ntirenganya n’est pas natif de Bisesero et ne peut donc nommer les collines. Ceci dit, quand on vient de chez lui, il faut passer par un endroit qui s'appelle Rwabadodo et Bisenyi pour atteindre la colline de Bisesero sur laquelle il voit des Blancs tirer pour la première fois. Les Blancs tirent avec des armes à feu que Jean Ntirenganya ne connaît pas. Ce qui attire par ailleurs son attention, c'est un fusil posté sur un gros véhicule fermé et blindé de partout dont il ne peut voir que le canon. On ne voit pas la personne qui tire avec ce fusil. Jean Ntirenganya n’a pas le droit d'approcher de l’endroit où ils tirent étant donné qu’ils ont pour mission d’encercler les collines afin d’être présent aux bons endroits au moment où les Tutsi sortiront de leurs cachettes. Le rôle des Blancs est de tirer dans le but de faire sortir les Tutsi que Jean Ntirenganya, qui restent là en attendant que les Blancs tirent, participent ensuite à tuer. Jean Ntirenganya est un génocidaire faisant partie de la population, pas un Interahamwe. Il n’a pas d'uniforme particulier pour cette attaque. Il porte des feuilles de bananiers. Ce n'est alors même pas la peine de les mettre autour des hanches. Il suffit de les mettre autour du cou. S’ils portent cela, c’est parce que souvent les Tutsi se mélangent à eux et ce donc afin qu’on ne les confonde pas avec eux. Les policiers se distinguent par leur uniforme ainsi que leur chapeau jaune. Les Interahamwe de Gisenyi mettent des tissus, c'est-à-dire des pagnes. Jean Ntirenganya n'aurait pas su la nationalité française des Blancs du 13 mai si Twagirayezu ne le lui avait lui-même pas déclaré : « Voilà, ces Blancs que vous voyez là, ce sont des Français, ce sont nos amis, eux aussi sont mécontents de ce qui est arrivé à notre président, ils sont là pour nous aider à vaincre l'ennemi. Alors s'il-vous-plaît, ne les décevez pas, au travail ! Et d'ailleurs vous aurez une récompense, vous pourrez prendre tout ce qu'ils ont, leur bétail, leur terre, etc. » Les Blancs tirent sur les Tutsi après le 10 mai, ce tandis que le génocide a commencé le 7 avril. Finalement, les Français s’en vont. Entre les deux moments où les Blancs tirent et où ils reviennent sauver les Tutsi, Jean Ntirenganya ne le voit plus du tout dans la région. [Le 27 juin], Jean Ntirenganya n’est pas informé que les Français sont sur le point d’arriver pour sauver les survivants. On lui dit toutefois qu’il faut tuer les Tutsi très très très vite parce que la France entend donner une récompense mais qu'elle ne serait pas donnée avant que le dernier Tutsi soit exterminé. Dans les jours qui précèdent le sauvetage [du 30 juin], Jean Ntirenganya continuent à aller tuer les rescapés à Bisesero, mais n'y voit alors pas de Blancs. Jean Ntirenganya n'y comprend pas grand-chose, parce que la première fois, les Français tirent sur les Tutsi à ses côtés et au côté des FAR. Or après, vers le mois de juin, Jean Ntirenganya ne comprend pas étant donné qu’ils viennent alors qu’il n'y a presque plus personne, ce qui lui permet d’ailleurs de marcher tranquillement, d’aller cueillir des avocats, ce qu’il peut faire en ne rencontrant presque plus de Tutsi. Aussi ne comprend-il pas ce qui se passe lorsque les Français érigent des tentes pour les rescapés. Ainsi les Français revenus au mois de juin sauvent-ils ceux que Jean Ntirenganya participe à tuer [à leur demande puisqu’il y avait récompense à la clé]. Il voit ainsi des rescapés partir dans des véhicules sans pour autant savoir où ils sont amenés. Jean Ntirenganya a passé onze ans et sept mois en prison.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC JEAN-BAPTISTE HAKIZIMANA (RESCAPÉ) :

Témoignage de Jean-Baptiste Hakizimana (rescapé) recueilli par Bruno Boudiguet en novembre 2013 à Mubuga (Rwanda)

Résumé: Jean-Baptiste Hakizimana a 13 ans au moment du génocide et vit dans la cellule Jurwe. Au départ [le 13 mai], tout se passe comme d’habitude. Les miliciens arrivent vers 8h30. Jean-Baptiste se trouve dans sa cellule. Comme on tire dans sa direction, il se met à courir. Il tombe alors sur des miliciens, commence à se défendre et à les repousser un peu et finit par se réfugier en courant dans la forêt de Nyiramakware. Les miliciens ont peur de les y suivre. Vers 10h, il constate qu’il s’agit là d’une attaque différente. Il y a beaucoup de fusils, des militaires et des Blancs. Ils continuent à se faire tirer dessus. Il entend de nombreux tirs dirigés vers Nyiramakware. Il est obligé de sortir parce qu'il a alors peur. C'est à ce moment-là que les miliciens arrivent dans leur direction pour les tuer. Nyiramakware et Muyira constituent les collines stratégiques des Tutsi. D'habitude, quand ils ne peuvent plus se défendre à Nyiramakware, ils se regroupent à Muyira. Au moment des tirs sur Nyiramakware, Jean-Baptiste ne sait pas ce qui se passe à Muyira. Lui et les Tutsi avec qui il se trouve pensent être les seuls alors visés. Ils décident donc de fuir Nyiramakware et c’est en quittant cette colline qu’il voit des Blancs en compagnie de militaires rwandais. Les Blancs n'entrent jamais dans les fourrés, mais restent autour de la route des écoles, sur la route de Mumubuga. Ils tirent en direction des forêts, faisant sortir les Tutsi de leur cachette. Jean-Baptiste commence par courir en direction de Nyamasovu. De là, il voit que d'autres Tutsi sont sur Muyira et décide de les y rejoindre, ce qu’il parvient à faire en effectuant une traversée en courant de Nyamasovu vers Kagari pour finalement atteindre Muyira. Sur Nyiramakware et Muyira, il y a toujours des gens que les miliciens ne parviennent pas à déloger. Après qu’ils ont toutefois fini par déloger de Nyiramakware un certain nombre de Tutsi, dont Jean-Baptiste, ils prennent la direction d’Uwingabo d’où ils envisagent de tirer cette fois-ci vers Muyira. Les miliciens eux ne marchent pas à leurs côtés, mais suivent derrière pour tuer les Tutsi qui seraient épuisés. Tandis que Jean-Baptiste ainsi que d’autres Tutsi passent par les sentiers pour rejoindre Muyira, les Blancs prennent la route. Jean-Baptiste les devancent et aperçoit des véhicules aller de Nyiramakware à Muyira. Le groupe de Blancs et de militaires passe également par la petite route qui traverse la colline de Kagari, ce pour se poster à cet endroit d’où ils envisagent de tirer sur Muyira, colline qu’ils ne gravissent pas, se contentant de rester sur place pour tirer. Deux petites routes partent de la route principale, l'une allant vers Kagari, l'autre vers des habitations. Ils se postent à un croisement pour tirer. Un autre groupe contenant des Blancs se positionne lui sur la route principale afin d’également tirer sur Muyira. Tous les Tutsi partent se cacher dans la vallée de Muyira, entre Muyira et Kagari. Jean-Baptiste et d’autres Tutsi de Nyiramakware arrivent à Muyira vers 11h. Les tirs commencent sur Muyira entre midi et 13 heures. Quand ils commencent à tirer sur Muyira, Jean-Baptiste est déjà donc sur place. Et de se demander si les tireurs n’ont pas attendu que tous les Tutsi soient arrivés à Muyira étant donné qu’ils les ont bien vus en prendre la direction. C'est une fois que les Tutsi venus d’un peu partout ont fini de se regrouper sur Muyira qu'ils commencent à tirer comme ils viennent de le faire sur Nyiramakware. Sur Muyira, Jean-Baptiste ne parvient plus à voir les Blancs. Les assaillants continuent ainsi à tirer tout le long de la route sans qu’il ne parvienne à les voir. Les bombardements sont les mêmes à Muyira qu’à Nyiramakware. Seuls des machine-guns et des Stream, attachés au fusil, sont en mesure de les faire sortir dans ces collines. C'est tellement fort que tout le monde finit par sortir. Presque tous les Tutsi qui se sont cachés dans la vallée de Muyira, entre Muyira et Kagari, y trouvent la mort. Au cours de cette terrible journée, les Tutsi ne restent nulle part étant donné qu’on ne cesse de leur tirer dessus. Pour aller de Muyira à Kazirandimwe, Le groupe constitué de Jean-Baptiste et d’autres jeunes décide de traverser la route principale et donc de risquer le tout pour le tout. Jean-Baptiste et son groupe la traverse aux environs de 15 heures, ce qu’ils font tout en passant au milieu de militaires et de Blancs, les miliciens étant alors derrière eux. Les Tutsi restés sur Rugona ou dans la vallée et qui ne peuvent pas courir ne peuvent pas voir de Blancs. Ils entendent les tirs sans pouvoir voir qui tire. Quand les Tutsi sortent de leurs cachettes, les miliciens sont en mesure de les tuer plus facilement. Ceux qui n'ont alors plus la force de courir acceptent de mourir sur place. C'est en tout cas à ce moment-là qu’il voit donc des Blancs pour la seconde fois. Jean-Baptiste entend alors des tirs. Il ne peut enfin souffler que lorsqu’il arrive à Kazirandimwe.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC LÉONIDAS HAKIZIMANA (GÉNOCIDAIRE) :

Témoignage de Léonidas Hakizimana (génocidaire) recueilli par Bruno Boudiguet en novembre 2013 à Mubuga (Rwanda).

Résumé: Léonidas Hakizimana a 31 ans au moment du génocide et vit dans le secteur Bisesero, cellule Kigarama. Pendant le génocide, Léonidas ne veut pas rester parmi ceux qu’il doit tuer. Aussi va-t-il habiter à Gasaka. Bien que natif de Bisesero et habitant tout près des maisons de ceux destinés à être la cible du grand massacre, il préfère le 13 mai rejoindre les génocidaires venus d’ailleurs afin d’attaquer à leurs côtés. Léonidas a eu vent de ce que les assaillants entendaient ces jours-ci commencer à 10 heures afin de profiter de renforts. Quant à celui qui veut être tué en y allant plus tôt, c'est son affaire. C’est à cette heure que Léonidas se rend sur les lieux et pas avant afin d’éviter de se faire tuer. Le début de l'attaque est signifié par un tir traditionnel effectué par un surveillant, un policier ou un bourgmestre, et ce un peu partout, notamment à Gisovu, Gishyita ou Gitesi. On a dit à Léonidas de commencer à attaquer les Basesero quand il recevrait ce signal. Les Blancs ne connaissent pas très bien Bisesero. C'est le bourgmestre Sikubwabo qui les y guide. Quant à Twagirayezu, natif du même endroit que Léonidas mais habitant lui à Mubuga, il se rend à Bisesero avec les Blancs afin de leur montrer les collines. Au même moment s’y rendent de nombreux Rwandais, des gens de la ville, de la région, les Blancs montant en même temps qu’eux. Arrivent notamment des voitures ressemblant à des véhicules de la Croix-Rouge. Quand Léonidas aperçoit les voitures ainsi que les Blancs pour la première fois, il prend peur, croyant qu'ils viennent sauver les Tutsi. Il patiente un peu avant d’attaquer ces derniers. Mais aussitôt arrivés, les Blancs se mettent à tirer. L’attaque commence à dix heures. Quand démarrent les tirs, Léonidas se trouve sur la colline de Kigarama. Les Blancs commencent à tirer sur la colline de Nyiramakware, tout près de Mumubuga. Léonidas comprend maintenant que ces Blancs sont venus les aider à exterminer les Tutsi. Ils ont de grosses armes. Quant aux blindés, il entend dire qu’ils viennent de chez les Français. Les Tutsi sont cachés dans des trous qu'ils ont creusés dans la colline de Nyiramakware. Les Blancs tirent pour que ces derniers sortent de leurs cachettes. Léonidas a pour consigne de ne pas approcher les Blancs. De toutes les manières, ils ne parlent pas leur langage. Il se contente d’exécuter le programme du gouvernement. Les Français restent sur la grand-route et tirent en direction des collines pour faire sortir les gens qui s’y cachent, charge aux génocidaires tels que Léonidas de les tuer. Aussi ce dernier doit-il patienter un peu avant d’entrer en action. Les Interahamwe tuent ceux que Léonidas ne parvient pas à tuer. Les tireurs entendent faire converger les Tutsi vers la colline de Muyira où ils sont rassemblés. Une fois que les Tutsi y ont convergé, les Blancs tirent en direction de Muyira et y envoient des Stream. Certains Tutsi meurent à cet endroit, d'autres tentent de sortir. Léonidas a à nouveau pour consigne de patienter un peu et les tuer ensuite. Quand bien même le gouvernement aide les génocidaires, ces derniers n’entendaient pas se risquer à tenter de vaincre les Basesero. Ainsi si les Blancs n'étaient pas venus, les Basesero auraient été aujourd’hui beaucoup plus nombreux. Après l’attaque de la mi-mai, Léonidas continue à participer au génocide. Après le massacre de la mi-mai, les Français ne reviennent qu’au mois de mois de juin, et là, ils les sauvent des Tutsi. Léonidas ne sait pas si Twagirayezu est alors à nouveau avec les Français. Quand les Français ont tiré sur Bisesero le 13 mai, personne ne fuyait encore Mubuga, la province étant alors encore protégée. Les Hutu ne commencent à fuir que plus tard, mais pas tous au même moment, selon notamment qu’ils viennent de Kibungo ou bien d'autres zones déjà contrôlées par le FPR. Les premiers fuyards arrivent dans la région ouest vers la fin avril. Ils continuent à arriver en mai. Ils marchent le long de la route en direction de Cyangugu, avec leur femme, leurs enfants, et même parfois leur bétail. De Mubuga, les Hutu commencent à fuir au mois de juin, mais à part ceux qui, prenant peur, emboîtent le pas aux fuyards de l'est, peu de gens de Mubuga prennent alors encore la fuite étant donné que le FPR n'est alors pas présent à cet endroit. Les attaques les plus terribles sont les attaques des Blancs. Ainsi en dehors de celle du 13 mai, les autres ne sont pas terribles. Vers la fin, les attaques des Interahamwe venus de Gisenyi sont toutefois elle également terribles. Ils sont alors en blanc. Cette attaque a lieu le mois suivant celui au cours duquel eut lieu l’attaque des Blancs.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC SAMUEL NZANANA (RESCAPÉ) :

Témoignage de Samuel Nzanana (rescapé) recueilli par Bruno Boudiguet en novembre 2013 à Bisesero (Rwanda)

Résumé: Samuel Nzanana a 39 ans au moment du génocide et vit à Uwingabo. Avant l'attaque Simusiga, les génocidaires tentent de rassembler les Tutsi. La scène se passe à partir de 14 heures. Elle a lieu la veille de la grande attaque. Une voiture vient de l’actuel mémorial (Rwirambo) et se dirige vers Gitwa. Samuel Nzanana se trouve alors sur Muyira tandis que la voiture se trouve elle en bas sur la colline de Kagari. Ils ne sont pas sur la grande route qu’ils ont quittée pour rejoindre une autre route allant jusqu’à Muyira et qui existe encore à cette époque. C’est une voiture blanche ressemblant à une voiture de journaliste. Des Blancs sont en compagnie de Ruzindana à un endroit où il y a un panneau. Ils sortent et se mettent à parler. Samuel Nzanana voit deux Blancs en tenue militaire qui ne font rien, ne tirent pas, se contentant de parler et de faire des gestes. Il y a là également Eliezer ainsi que d'autres autorités. Ruzindana a un mégaphone sur sa voiture qu’il utilise pour demander aux Tutsi de dire à tous les autres que des Blancs de la Croix-Rouge sont là, qu'il faut donc réunir tout le monde à l'école tout près d’ici afin qu’ils puissent les y soigner. Au moment où Ruzindana fait cet appel, les Blancs sont dans la voiture. Tout au long de la route, ils appellent ainsi les gens à se réunir à l'école. Ce ne sont pas les Blancs qui conduisent mais un chauffeur de Ruzindana qui le conduit traditionnellement quand ce dernier accompagne les bus de miliciens qu’il paie, à qui ils donnent un salaire. [Le 13 mai], les Tutsi de Bisesero résistent. C’est alors que les Blancs viennent avec les autorités et réunissent tout le monde, tous les miliciens de tous les coins du Rwanda pour venir les attaquer. C'est à cette date qu’ils vont avoir raison des Tutsi, qu’ils vont parvenir à les vaincre. L’attaque commence à 10h. Du 13 au 15, les miliciens viennent de partout, encerclent les Tutsi qu’ils repoussent jusque dans la vallée de Kagari. Les armes utilisées sont des lances, des machettes à double tranchant, des massues, des fusils. Ilm y a des tirs. Les assaillants utilisent des machettes à double tranchant. C'est la première fois de sa vie que Samuel Nzanana voit ce genre de machettes. Le jour de la grande attaque, Samuel Nzanana ne voit pas de Blanc. Il ne voit plus rien. Il court partout, se cachant comme il peut. Aussi ne voit-il pas grand-chose. En revanche, il entend des Tutsi dire que de toute façon, la situation est terrible et qu'ils ne pourront pas leur échapper étant donné que même les Blancs sont venus.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC PAULINE UWIRAGIYE (RESCAPÉE) :

Témoignage de Pauline Uwiragiye (rescapée) recueilli par Bruno Boudiguet en novembre 2013 au Rwanda.

Résumé: Pauline Uwiragiye a 14 ans au moment du génocide et vit dans la commune Gishyita, secteur Bisesero, cellule Jurwe. Pauline Uwiragiye est très jeune, toute petite au moment du génocide. [Le 13 mai], Pauline Uwiragiye se trouve au sommet de Muyira quand l’attaque commence. Ils essuient des tirs. Ceux qui leur tirent dessus prennent maintenant leur direction. L'attaque est notamment composée de miliciens. Pauline Uwiragiye descend la colline avec d’autres Tutsi pour tenter de fuir. Ils prévoient de mettre en pratique le kwivanga, leur tactique consistant à se mêler à l’adversaire. Pauline Uwiragiye descend avec des pierres, pensant alors qu’il s’agit là d’assaillants avec qui ils peuvent engager le combat. Mais quand ils arrivent tout près de ceux qui leur tirent dessus, ils s’aperçoivent que ce sont des militaires et des Blancs. Ils comprennent que ce n'est pas un combat qu'ils peuvent engager avec des pierres et traversent l’endroit où ils sont positionnés afin de prendre la fuite. C‘est ainsi que Pauline Uwiragiye se dirige vers la colline de Cyamaraba. Ce jour, la situation est catastrophique à tel point qu’ils ne peuvent donc pas utiliser leur tactique de la mêlée. Les Blancs sont vêtus de tenues militaires et tirent sur les Tutsi. Ils sont sur les collines et se déplacent avec des miliciens. Après avoir quitté le domicile de sa marraine, Pauline Uwiragiye se dirige là où habite sa famille et y voit Rwigimba tuer sept personnes de sa famille, quatre d’entre eux mourant le 13 mai, les trois autres fin mai. Pauline Uwiragiye est mise dans une grande cruche. Au dessus d’elle, on ajoute des avocats. Les tueurs partent en disant qu'ils les mangeraient le lendemain.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC PASCAL BASHYAKA (RESCAPÉ) :

Témoignage de Pascal Bashyaka (rescapé) recueilli par Bruno Boudiguet en novembre 2013 au Rwanda.

Résumé: Pascal Bashyaka a 27 ans au moment du génocide et vit à Gishyita, sec. Bisesero cellule Jurwe. Avant la grande attaque, au début du mois de mai, sur la colline de Mpura, Pascal Bashyaka entend Ruzindana demander aux Tutsi de faire venir les rescapés pour leur donner des sheetings, de la nourriture. Il s’agit en fait de les recenser afin de les exterminer. À peu près trois jours avant la grande attaque, un hélicoptère fait une petite patrouille, circule au-dessus de la zone de Mumubuga, sans que Pascal Bashyaka ne connaisse son objectif. Il prend la direction de l'usine de Gisovu, se pose un petit moment puis repart. Pascal Bashyaka ne voit pas de Blanc avant la grande attaque. [Le 13 mai], les assaillants laissent leur douzaine de bus à Bisesero et encerclent les Tutsi. Les tirs commencent à 11h. Pascal Bashyaka est alors au sommet (Mumubuga) mais il est obligé de se déplacer suite aux attaques venues de Mubuga. Lors de l'attaque à Mumubuga, Pascal Bashyaka sent la colline trembler. Mais étant paysan, il ne peut distinguer les fusils. Les assaillants font en sorte de les rassembler sur la colline de Muyira. Pascal Bashyaka court directement en direction de Muyira au moment où les bus sont en train d'arriver avec les miliciens. Il finit par atteindre Muyira. Quand Pascal Bashyaka arrive à Muyira, il y a déjà là d'autres miliciens venus d’ailleurs que de la région. Ils parlent des langues inconnues, portent des tenues différentes, certains portant des feuilles de thé sur la tête pour se distinguer entre eux. Les assaillants ont encerclés les Tutsi. Pascal Bashyaka aperçoit, tout près de Muyira, environ quatre Blancs dont il ne parvient toutefois pas à déterminer la nationalité. Il est seulement en mesure de voir la couleur de leur peau. Ils sont sur Rwirambo en compagnie de militaires FAR venus avec eux dans les bus. Il n'est pas très loin des Blancs - disons 400 mètres - dans la mesure où ils ont été encerclés. C’est à Muyira qu’a lieu la grande attaque. Tandis que les miliciens utilisent des grenades et des lances en bambou contre les Tutsi, les Blancs leur tirent également dessus, combinant leurs tirs avec ceux des militaires rwandais avec qui ils se trouvent. Celui qui essaie de se sauver est condamné d’avance à cause de ces fusils. Pascal Bashyaka ne peut pas en identifier le type, mais ils sont vraiment terribles. Après la tuerie, ils regagnent leurs véhicules. Le soir, les Tutsi ne se réunissent pas. C’est trop catastrophique. Il y a beaucoup de morts. Peu de vieux, d’enfants et de mamans sont parvenus à leur échapper. Les survivants ont du mal à croire qu'ils parviendront encore à survivre longtemps. [Le 27 juin], la rencontre a lieu près des écoles primaires. Les Français sont avec Twagirayezu qui fait office d’interprète pour eux. Il leur dit qu'aucun Tutsi n’est mort. Il y a là Bernard Kayumba ainsi qu’Eric. Les Tutsi montrent aux Français le corps de Munyandinda qui vient d'être fusillé. Les Français ne prennent pas les armes des Tutsi. Les Français disent aux Tutsi qu’ils reviendront les sauver dans trois jours. Pendant les trois jours d’attaque, Pascal Bashyaka ne voit pas d’hélicoptère. Les tueurs sont des Interahamwe ainsi que des tueurs entraînés. [Le 30 juin], les Français reviennent et rassemblent les rescapés à Rwirambo, construisent des maisonnettes en sheetings. C'est à ce moment-là qu'ils prennent les armes des Tutsi. Les Tutsi parlent entre eux des Blancs du 13 mai après que ceux du 30 juin les ont rassemblés à Rwirambo/Uwingabo. Ils se disent qu’après que les hélicoptères ont pris les blessés pour Gituku [Goma], les Blancs vont aussi les tuer comme ils l’ont fait en participant à la tuerie du 13 mai : « Ils vont les tuer comme ils nous ont tués auparavant ! » D'ailleurs, ils amputeront des rescapés. Quand les Tutsi répondent aux Français qu’ils veulent rejoindre la zone FPR, ils n’ont plus rien à se mettre sous la dent pendant trois jours.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC THÉRÈSE MUJAWAYEZU (RESCAPÉE) :

Témoignage de Thérèse Mujawayezu (rescapée) recueilli par Bruno Boudiguet en novembre 2013 au Rwanda.

Résumé: Thérèse (Talisa) Mujawayezu a 18 ans au moment du génocide et vit dans la commune Gisovu, secteur Gitabura, cellule Nyakiyabo. [Après l’attentat], les tueries démarrent. Thérèse Mujawayezu se cache. Les tueurs fouillent pour faire sortir les Tutsi de leurs cachettes. Certains sont tués avec des lances, des gourdins ainsi que d’autres armes traditionnelles. Thérèse Mujawayezu traverse Gitwe et arrive à Bisesero. [Le 13 mai], les tueurs viennent entre 10 et 11h et restent jusqu'à 17h. Lorsque les voitures arrivent, Thérèse Mujawayezu essaie d’encore plus se cacher. Thérèse Mujawayezu est sur la colline de Gitwe, cachée dans un buisson. Les tueurs brûlent son père dans un four à pain où il s’était caché. La grande attaque commence vers 11 heures. Thérèse Mujawayezu parvient à identifier des voisins, ainsi que des gens dans des voitures, comme Ruzindana. Thérèse Mujawayezu ne voit pas de Blancs mais entend dire qu'ils sont au côté des tueurs dans les attaques. Elle entend ça à l’occasion de conversations entre adultes. Le beau-frère de Thérèse Mujawayezu, Munyandinda, était avec son mari, aujourd’hui toujours vivant, Aloys Gasarasi. Or elle entend alors dire que son beau-frère a ce jour été fusillé par des Blancs en compagnie de militaires rwandais.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC STANISLAS NTWALI (RESCAPÉ) :

Témoignage de Stanislas Ntwali (rescapé) recueilli par Bruno Boudiguet en novembre 2013 au Rwanda

Témoignage de la présence de soldats blancs à Bisesero au cours du massacre du 13 mai 1994 et de la présence de soldats blancs pendant Turquoise à Bisesero au moment (entre le 28 et le 30 juin 1994) et à l’endroit précis où des génocidaires rwandais tiraient sur lui.

Résumé: Stanislas Ntwali a 27 ans au moment du génocide et vit dans la commune Gishyita, secteur Bisesero, cellule Jurwe. [Le 13 mai], parmi les tueurs Stanislas Ntwali aperçoit cinq Blancs arrivant à bord de leur propre voiture. Alors que Stanislas Ntwali se trouve sur la colline de Muyira, il voit maintenant ces Blancs au bord de la route séparant Gisovu de Gishyita, sur la colline de Bisesero. Il peut distinguer la peau blanche de ces soldats en tenue militaire. Ils sont avec des officiers portant le grade de major. Après que les Tutsi sont encerclés, voilà les Blancs qui s’approchent de l’endroit où se trouve Stanislas Ntwali et qui commencent à tirer sur les Tutsi. Leur fusil fait alors sortir des cartouches comme une machine à écrire. Il est 8h quand l'attaque commence. Les Tutsi subissent une catastrophe. Beaucoup trouvent la mort en ce jour. [Le 27 juin], les Français exigent de faire sortir ceux qui sont cachés et demandent à voir les blessés. Or ils s’en vont ensuite sans faire en sorte que Stanislas Ntwali, pourtant blessé par un éclat de grenade et qui vient de sortir de sa cachette à leur demande, puisse se faire soigner. Au moment de la discussion entre les Français et Eric, Stanislas Ntwali n’était pas sur place au côté d’Eric et de Twagirayezu, mais après le départ des Français, Eric prend soin ensuite d’expliquer aux Tutsi qu’ils ont dit être là pour apporter le calme, aussitôt après quoi ils se sont saisis des lances de certains Tutsi alors sur la route, enfin qu’ils reviendront dans trois jours. [Pendant les trois jours d’attaque de la fin juin], Stanislas Ntwali parcourt toutes les cellules de Muyira à Jurwe. Beaucoup de gens sont à nouveau tués. Stanislas Ntwali aperçoit des hélicoptères dont il ignore la couleur de peau des pilotes. Juste après que ces hélicoptères ont patrouillé, Et alors qu’il se cache dans un buisson à Mu Byiha il entend des véhicules. Arrivent en effet des véhicules à bord desquels se trouvent des Blancs. Il croit alors que ces Blancs viennent rétablir l'ordre, ramener le calme. Stanislas Ntwali pense en effet maintenant, conformément à ce qu’Eric leur a dit, qu’ils sont dorénavant censés retrouver le calme, qu'il n'y aura plus d'attaque. Il sait de plus les Blancs vont venir pour cela. Aussi sort-il de sa cachette en croyant qu'ils sont venus les protéger. À cet instant, des miliciens rwandais parlant d'autres langues que le kinyarwanda, des langues du style congolais, viennent à leur tour et tirent sur les Tutsi, ce qu’ils font en présence des Blancs dont la voiture est toujours présente à cet instant. Ils parviennent à tuer des Tutsi. Quant à Stanislas Ntwali, il est blessé au cours de cette fusillade, touché par balle au bras. Stanislas Ntwali ne parvient pas avoir précisément qui se trouve dans ces voitures étant donné qu’on vient de tirer sur lui, mais voit bien les voitures de Blancs alors sur place. Il comprend maintenant que les Blancs ne sont pas là pour leur sécurité mais bien de connivence avec les tueurs. Il s’enfuit alors en direction de Rwakamena. [Le 30 juin], les Français se saisissent à nouveau des armes des Tutsi au moment où les hélicoptères transportent les blessés à Goma. Les Tutsi n’ont alors pas beaucoup d'armes. Ce sont des lances ainsi que des petits bâtons.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC ZACHARIE HATEGEKIMANA (RESCAPÉ) :

Témoignage de Zacharie Hategekimana (rescapé) recueilli par Bruno Boudiguet en novembre 2013 à Bisesero (Rwanda)

Résumé: Zacharie Hategekimana a 38 ans au moment du génocide et vit dans la commune Gishyita, secteur Rwankuba, cellule Bisesero. [Le 13 mai], à Muyira, à 10 heures, les assaillants ont réuni toutes les préfectures du Rwanda et encerclent les Tutsi. Les militaires utilisent de gros fusils. Les fusils tuent les gens sur les collines tandis que ceux munis d’armes blanches traquent les gens qui se cachent. Zacharie Hategekimana n’est pas blessé par machette. Il parvient à grimper sur un arbre d’où il voit des Tutsi se faire machetter par des machettes à double tranchant. C'est alors la première fois qu’il en voit. Il ne parvient pas à distinguer s’il y a des Blancs mais en entend parler le soir. « Du haut de la colline à la route, c'était difficile de distinguer si c'étaient des Noirs ou des Blancs. » Les Tutsi ne sont pas tous au même endroit. Zacharie Hategekimana entend certains Tutsi qui ont pu aller jusqu’à l’endroit des tireurs dire en avoir vus.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC SHUNI ELAMU (GÉNOCIDAIRE) :

Témoignage de Shuni Elamu (génocidaire) recueilli par Bruno Boudiguet en novembre 2013 au Rwanda

Résumé: Shuni Elamu a 38 ans au moment du génocide et vit dans la commune Gishyita, secteur Gishyita, cellule Mpatsi. [Avant la grande attaque], un hélicoptère les dépose, après quoi ils se rendent de Bwishuhira en très grand nombre avec leurs Jeeps à Bisesero. Quand les Tutsi perchés sur les arbres aperçoivent les Blancs, ils ont peut-être cru qu'ils venaient les sauver. Du coup, ils sortent tous. Les Blancs sont présents au cours de l’attaque. Ils sont là pour aider à tuer. Les Blancs tirent sur les Tutsi. C’est une attaque terrible, vers la fin du génocide. [C’est bien le 13 mai et il est intéressant de voir que c’est cette période qui marque pour lui la fin du génocide] Ils reçoivent du renfort d’Interahamwe venant de partout car ils ne parviennent pas à exterminer les nombreux Tutsi restent et qui parviennent à résister. Shuni Elamu est alors décidé à les exterminer. L’attaque est dite Simusiga, parce que c'est une attaque décisive et qu'il s’agit de venir à bout des Tutsi. C’est la première attaque Simusiga qui a lieu au mois de mai, la première attaque Simusiga, la première attaque conjointe avec les Français. « Peut-être que les Basesero parlent d'attaque Simusiga. Mais pour nous chaque attaque était Simusiga. » Entre les deux grandes attaques, les Français ne sont jamais tous partis. Il y en a qui restent. Leur retour à Bisesero correspond au moment où ils ont dit aux Tutsi qu’ils comptaient les sauver. Les Français disent aux Tutsi de patienter trois jours. Quand ils les abandonnent, on dit à Shuni Elamu que c'est le moment d'exterminer les survivants. Shuni Elamu n’est alors pas encore parti mais ne participe pas pour autant à cette attaque. Shuni Elamu pense possible que les Français n'ont pas participé aux attaques des trois derniers jours, mais ne considèrent pas moins que ce sont eux qui les ont orchestrées. Quand ils sont venus dire au tout petit nombre de rescapés restant qu'ils allaient venir les sauver, ce n’était en effet pour lui qu’une façon de les faire sortir de leur cachette pour pouvoir les tuer. Shuni Elamu part alors que les Français sont encore là. Il s’enfuit vers le Zaïre au mois de juin, deux jours après le départ des autorités de Gishyita. Shuni Elamu ne sait pas qui a déclenché l’incendie qui a ravagé les bureaux de la commune.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC CHARLES KAYIBANDA-MUGENZI (RESCAPÉ) :

Témoignage de Charles Kayibanda-Mugenzi (rescapé) recueilli par Bruno Boudiguet en novembre 2013 au Rwanda

Résumé: Charles Kayibanda-Mugenzi a 44 ans au moment du génocide et vit dans la commune Gishyita, secteur Bisesero cellule Jurwe. La tuerie la plus terrible est celle du 13 mai. Il y a ce jour beaucoup de bus. Charles Kayibanda-Mugenzi voit des Blancs sans savoir combien ils sont, étant donné que non seulement il n’est alors pas tout près d’eux, mais qu’il est en train de fuir. Il continue à courir et finit par en réchapper. Quand il passe à quelques mètres, il rencontre un Blanc avec un fusil, après quoi il voit à quelque distance un militaire rwandais armé d'un fusil. Il traverse partout, mais les Blancs se sont alors surtout installés près de l'école primaire. Un jour sont arrivés Mika et Ruzindana. Ils leur disent de les retrouver aux écoles primaires pour que les blessés soient soignés et afin qu’ils puissent leur donner de la nourriture. Les Interahamwe ayant tout pillé, ils n’ont en effet plus rien à manger. C’est Rusanganwa qui discute avec eux. Il a rendu l'âme après le génocide, mort de mort naturelle. Puis Twagirayezu arrive avec les Blancs. Un certain Eric, caché dans un buisson près de la route. Il y a aussi Matoroshi, aujourd’hui secrétaire exécutif de Mubuga. Twagirayezu explique que les maisons détruites sont celles de Hutu. Ils sont sortis de leur cachette après avoir entendu leur conversation. Ils ont parlé en Français – Eric et Matoroshi – ils ont demandé de leur montrer quelqu'un qui était mort. Il a appelé les autres qui ont amené des morts. Un enfant qui avait pu survivre.

  • ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC SYLVÈRE NYAKAYIRO (RESCAPÉ) :

Témoignage de Sylvère Nyakayiro (rescapé) recueilli par Bruno Boudiguet en novembre 2013 au Rwanda

Résumé: Sylvère Nyakayiro voit à Kashyamba et Muyira à peu près quatre Blancs entre le 24 et le 27 avril. Il les voit sur une colline, tandis que d’autres sont positionnés sur une autre colline. Sans bouger de leur position, ils tirent sur les Tutsi pour qu'ils sortent de leur cachette. Les miliciens et les autorités tirent également. Sylvère Nyakayiro ne voit pas leurs armes. Il en entend seulement le bruit qui fait « b-b-b-ba » tout en voyant les Blancs porter un chapeau semblable à celui de mineurs. Plus d’une semaine avant le 13 mai, les Tutsi sont installés aux sommets des collines. Ruzindana, Ndimbati et Sikubwabo s'installent eux aussi aux sommets de collines où il n'y a pas de Tutsi, se donnent des signaux et se mettent à tirer. C’est alors que Rusanganwa prend son courage à deux mains, se porte volontaire et quitte son groupe pour s'hasarder à aller discuter avec Ruzindana. Il les rejoint au niveau de l'école primaire. Sylvère Nyakayiro voit les véhicules de loin. Ruzindana lui dit : « Toi, est-ce que tu me connais ? » Pour éviter d'être tué, Rusanganwa lui ment en lui répondant ne pas le connaître, ajoutant que des gens tirent sur eux sans qu'ils ne sachent pourquoi. Ruzindana lui répond : « Tu peux nous montrer les cadavres des vôtres ? Est-ce qu'il y a des survivants dans les parages ? » Rusanganwa lui répond qu'il y en a. Ruzindana reprend la parole : « Ces prochains jours, rassemblez les vieilles mamans ainsi que les enfants. Nous allons vous amener de l’aide. » Rusanganwa retourne alors vers son groupe et répète ce que vient de lui dire Ruzindana. Il explique que ce dernier tente de les tromper, racontant qu’il n’a pas manqué au préalable de lui demander s’il le connaissait, ce à quoi il a répondu ne pas le connaître pour avoir la vie sauve. Et de faire savoir qu’il se joue de leur tête avec cette prétendue aide qu’il leur propose, sachant qu’il ne compte nullement les sauver. Cet épisode de Rusanganwa a lieu quelques jours avant le 13 mai, au moins une semaine avant. Après cet épisode, il y a une accalmie. L'épisode Rusanganwa est le signal de l'accalmie. C’est en quelque sorte le signal du grand massacre du 13 mai. Les Tutsi se méfient de cette histoire d'aide, mais recommencent à courir dans les collines. Le 13 mai est pire que le 24 avril. Les armes lourdes sont positionnées sur Ruhuha, Muyira, Nyamasovu, Sakufe. Kwibyiniro. Les cadavres sont plus nombreux que les herbes.