Rushes 2013
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- ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC FRANCOIS MURIGAMBI (RESCAPÉ) :
Témoignage de François Murigambi recueilli par Bruno Boudiguet le 12 avril 2013 à Mubuga.
Résumé : Les attaques terribles commencent le 13 mai 1994. L’attaque commence entre 8 et 9 heures du matin, car François voit que le temps est déjà clair, tandis que, dans les montagnes, la lumière tarde à venir. Il se trouve alors avec d’autres Tutsi sur la haute montagne de Nyiramakware. Les premiers qui arrivent sont la population et les miliciens. Ils se mettent à leur jeter des pierres. Ils ne peuvent toutefois pas s'approcher des Tutsi pour les tuer avec leur machette, décidant de rester à bonne distance. Entre trente minutes et une heure après l’arrivée des miliciens, arrivent des militaires armés. Les militaires rwandais arrivent dans des Jeeps. Ils sont avec des Blancs également en tenue militaire. François se dit que les Blancs qu’il voit à Nyiramakware ont dû laisser leur voiture à l'école primaire de Bisesero, au croisement à Gitwa, l’école étant située à côté de ce croisement. À côté du croisement il y a en effet une petite route qu’ils ont dû emprunter jusqu'en bas de l'école, vers Mumubuga. Les Blancs ont leur fusil à l’épaule ou les ont dans leurs mains. Ces armes tirent comme des mitraillettes Les militaires rwandais tirent sur les Tutsi. Ils tuent la plupart des Tutsi. François croit se souvenir que les Blancs tirent aussi. Ils lancent leurs grenades dans la forêt de Nyiramakware. Il y a beaucoup de bruits, qu’ils proviennent de tirs, de fracas de grenades, de gens qui meurent ou de gens qui attaquent. Quand les assaillants commencent à tirer, François et les autres Tutsi se mettent à courir et se cachent dans la forêt de Nyiramakware. C'est ainsi que certains Tutsi parviennent à échapper à la mort, car même s'ils les tirs continuent, il est difficile de les tuer étant donné que leurs assaillants ne se déplacent pas jusqu’à cette colline. De la colline de Nyiramakware, on peut apercevoir celle de Muyira qui est en face, séparée de Nyiramakware par une colline. Les Tutsi sont divisés, certains groupés sur Nyiramakware, d’autres sur Muyira, ce étant donné qu’ils ne sauraient autrement contrecarrer les attaques susceptibles de venir de tout côté. Il y a plus de monde sur Muyira. Ce sont surtout les Abasesero qui s’y trouvent. Ceux des autres communes sont sur Nyiramakware. Il y a notamment ceux de Kizibaziba, de Jurwe ou de Nyabitare. Le soir, juste après que les attaquants sont partis, François se rassemble avec les Tutsi groupés sur d’autres collines afin notamment de se raconter ce qui s'est passé pendant la journée, d’évaluer qui est mort ce jour-là. Or ce jour-là, il y a beaucoup de morts. François a vu des Blancs ce jour à Nyiramakware, et il apprend à cette occasion de la part de ceux qui s’étaient regroupés à Muyira qu’il y en avait également à Muyira. Ils constatent donc qu’ils ne peuvent plus rien faire, puisque les Blancs sont venus les attaquer : ils n’ont plus aucune chance.
- ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC MANASSE NZARORA (GÉNOCIDAIRE) :
Témoignage de Manasse Nzarora recueilli par Bruno Boudiguet le 12 avril 2013 à Mubuga.
Résumé : Manasse participe le soir du 12 mai 1994 à une réunion à Mubuga avec le bourgmestre Charles Sikubwabo et le conseiller Vincent Rutaganira, ces derniers regroupant la population à laquelle ils disent : « Vous avez entendu parler de la légendaire résistance de Bisesero. Mais ne vous en faites pas, des renforts vont arriver dans quelques minutes. Dès que ce renfort sera là, on va vous dire comment s'organiser pour essayer de casser la résistance de Bisesero. » Quelques minutes plus tard, Manasse voit en effet des Jeeps ordinaires se garer et cinq Blancs en sortir. Ils portent des tenues militaires, mais pas de casque de protection. Les voilà qui tout de suite pénètrent avec le bourgmestre dans la maison du conseiller Rutaganira. Quand ils en sortent, les Blancs reprennent la route vers Gishyita. Alors le bourgmestre s’adresse à la population : « Comme je vous le disais, les renforts sont ces Blancs qui sont venus. Avec eux, nous venons de décider que toute personne ici apte partira attaquer Bisesero tôt demain matin, pour que cette fois-ci soit la dernière. » Les Blancs reviennent à Mubuga le 13 mai au matin au nombre de cinq. Trois portent cette fois des casques et des tenues militaires. D'autres derrière portent un treillis mais pas de casque. La voiture n’est plus la même que la veille : c’est une voiture « Convoy », une voiture militaire contenant des rangées de deux, les passagers étant assis de chaque côté, deux autres passagers étant eux assis devant, à l’endroit du conducteur. La voiture est toujours stationnée devant chez le Conseiller Vincent quand part la population. Pour distinguer les Abasesero des génocidaires, ces derniers se sont vêtus de feuilles de bananiers, ce qui leur permet de montrer qu'ils sont Hutu. Arrivés à Mumubuga, les cinq Blancs descendent de la voiture et partent avec Manasse et d’autres génocidaires. Avant d'arriver à Byiha, cellule située tout près de Mumubuga, on leur demande de s'arrêter. Des gens venus d'ailleurs les y attendent, à Mumubuga, ne comptant pas commencer à attaquer sans les Blancs étant donné la crainte qu’ils nourrissent des Tutsi de Bisesero, ces derniers assurant une forte résistance. Manasse et les autres génocidaires ont surtout peur du groupe d’Abasesero qui se trouve sur la colline de Muyira. Ce sont les plus résistants, les plus forts. Le bourgmestre Sikubwabo s’adresse maintenant à tout le monde, Manasse faisant partie de ceux qui l’écoutent : « Puisque maintenant tout le monde est arrivé, il faut avancer vers Kanyinya, près de Muyira, et là, vous allez commencer à attaquer les Tutsi en commençant par Muyira. » Ce sont les Blancs qui montrent vraiment ce qu’il leur faut faire. Manasse s’aperçoit que les Blancs s'y connaissent plus que les militaires rwandais. Ainsi, puisqu’en dépit des tirs, certains Abasesero continuent à jeter des pierres sur les assaillants, un militaire rwandais, se risque à conseiller aux génocidaires : « Si vous voyez beaucoup de pierres et que vous tirez, il faut vous coucher à terre. » C’est alors qu’un Blanc présent à cet instant l’interrompt : « Non, il faut continuer à tirer ! » Manasse et les génocidaires commencent aussitôt à attaquer, ce qu’ils font après être parti avec ces Blancs qui se mettent eux à tirer. Il n’y a d’ailleurs pas que ces Blancs, mais aussi énormément de militaires rwandais, les deux tirant. Les fusils des Blancs ne sont pas gros, plutôt petits même, des fusils qu’ils portent et qui tirent, tirent, tirent. Les Blancs tirent plus que les militaires rwandais. Les Blancs aident vraiment à casser la résistance des Abasesero. C’est ainsi avec leur aide que les génocidaires parviennent à disperser et tuer la plus grande partie des Abasesero de Muyira, après quoi Ruzindana leur tire dessus avec un gros fusil de longue portée et qu’il utilise au coté d’un militaire, empêchant les Tutsi d’aller se réfugier dans les plantations de thé. Cette grosse arme est posée, étant donné qu’il est impossible de la transporter autrement qu’à l'aide d'un véhicule. Après les tirs sur Muyira, les militaires disent aux génocidaires dont Manasse fait partie : « Maintenant, les Tutsi sont affaiblis, on en a tué une grande partie. Mais vous, la population et les miliciens, suivez-les et achevez ceux qui sont encore en train de courir. » C'est ainsi que Manasse participe à les poursuivre pour les achever. Munzurwanda aide alors les génocidaires dans cette tâche en mettant sur son fusil quelque chose qu'il projette en direction des Abasesero. Le projectile agit alors comme du piment voilant les yeux des Abasesero qui commencent à tomber, si bien que Manasse et les autres peuvent tranquillement les tuer. ...
- ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC CASIMIR RUZINDANA (RESCAPÉ) :
Témoignage de Casimir Ruzindana recueilli par Bruno Boudiguet au cours d’une reconstitution le 14 avril 2013 à Gititi (Bisesero, Rwanda).
Résumé : Le matin, juste avant l'attaque du 13 mai 1994, Casimir se trouve sur une colline beaucoup plus haute que les autres, un endroit stratégique d’où l’on peut voir venir l'ennemi de tous côtés. Il se trouve avec d’autres Tutsi sur la colline de Gititi. C’est alors qu’il voit arriver des assaillants en beaucoup plus grand nombre que d’habitude. Il aperçoit sur la colline en face de celle sur laquelle il se trouve arriver des bus ainsi que d’autres véhicules. C’est au moment où les militaires de ce convoi descendent de leurs voitures qu’il s’aperçoit que ce sont des Blancs. Les voitures en sont pleines. Il y en a également avec des Rwandais. Les Blancs se mettent alors à installer de gros fusils. Il y en a au moins deux. Les Tutsi se disent que c'est en dès lors fini pour eux. Les Blancs se mettent maintenant à tirer. Les Tutsi tombent alors comme des fruits murs tombant d’un arbre. C’est la première fois que Casimir voit ça. Quand les assaillants lancent leurs projectiles à partir de ces gros fusils, c’est tout un groupe de gens qui tombent en même temps. Il s’agit d’un type d’attaque qu’il n’a encore jamais subie. Si les Tutsi ont pu résister contre les attaques précédentes, c'est maintenant difficile de résister étant donné que les tirs atteignent la colline sur laquelle ils se trouvent tout en venant d’en face. Des militaires rwandais sont aussi derrière des armes lourdes. Si certains Blancs sont derrière ces gros fusils, c’est dans leurs mains que d’autres Blancs tiennent d’autres gros fusils, la plupart d’entre eux tirant en tout cas avec des armes qu'ils portent.
- ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC FAUSTIN NGARAMBE (RESCAPÉ) :
Témoignage de Faustin Ngarambe recueilli par Bruno Boudiguet le 14 avril 2013 à Mumubuga.
Résumé : Le 13 mai 1994, Faustin ne voit pas de gros fusils postés devant la colline de Nyiramakware. Les assaillants gardent leurs armes dans leurs mains et tirent en marchant. La seule fois où il voit des Blancs, c'est sur un chemin qui mène vers Nyiramakware. Il les voit alors tirer avec des armes en marchant. Un «grand fusil» est posté tout près de Muyira. Il y en a aussi à Ruhuha ainsi que de «grands fusils» placés sur les côtés d'autres collines. Si les assaillants étaient venus sans «gros fusils», ils ne seraient pas venus à bout de la résistance des Tutsi qu’ils n’auraient pas pu atteindre. Ce sont les Tutsi qui les auraient alors tué, ce en dépit du nombre de leurs adversaires. Après la grande attaque, les Tutsi n’ont plus de force. Ils n’essaient même plus de courir, se contentant de rester là où ils se trouvent. La deuxième fois que Faustin voit des Blancs (30 juin), ces derniers leur disent de sortir de leurs cachettes pour entendre le message qu’ils leur destinent : ils leur font alors savoir que la guerre a cessé et qu'ils sont là pour les protéger. Faustin n’y croit guère mais n’a d'autre choix que celui de sortir de sa propre cachette.
- ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC ÉTIENNE BASABOSE (RESCAPÉ) :
Témoignage d’Étienne Basabose recueilli par Bruno Boudiguet le 15 avril 2013 à Gititi.
Résumé : Pendant la semaine qui précède l’attaque du 13 mai, le calme règne soudainement à Bisesero, ce à quoi les Tutsi ne trouvent pas d’explication, ignorant que leurs tueurs sont alors en train de s'organiser. Les journées des 13 et 14 mai, un vendredi et un samedi, sont terribles. Ce sont des jours qu'Étienne ne peut pas oublier. Le 13 mai, Étienne se réunit avec d’autres Tutsi à Muyira afin de connaître les directives qu’il va leur falloir suivre ce jour. Il est 7 heures du matin. Les Tutsi viennent d'entendre les directives pour la journée concernant la façon pour eux de se défendre. Les Tutsi postés à un endroit devront repousser les attaques venus d’un certain côté, les autres Tutsi postés ailleurs devront eux repousser d’autres attaques lancées elles d’un autre côté. C'est alors qu’ils voient les collines commencer à mettre au monde des militaires. Ils sont cernés. Alors qu’Étienne se trouve toujours à Muyira démarrent les tirs. Ce sont des choses qui envoient des projectiles faisant que la montagne elle-même se voit être déchirée. C'est quelque chose de terrible. Dans toutes les collines, que ce soient d’endroits visibles ou non visibles, leurs assaillants tirent sur les Tutsi. Les attaques viennent d’un peu partout. Étienne et les autres Tutsi restent la langue entre les dents, se disant qu’ils ne sont plus en mesure de se défendre. Les voilà qui tentent maintenant de rejoindre le lac pour se suicider en s’y jetant, si ce n’est que leurs assaillants les contraignent à rebrousser chemin Alors Étienne parvient à s’échapper de Muyira en courant, il aperçoit des voitures à bord desquelles se trouvent des Blancs, tous au sein d’un même groupe. C’est à cet instant qu’il voit des Blancs pour la première fois entre Nyarutovu et Gitwa. Il voit les Blancs sortir de leur voiture. Il voit leur visage, voit bien que ce sont des Blancs. S’ils portent une tenue qui sort de l'ordinaire, tout en ressemblant à certaines tenues militaires, il n’est toutefois pas en mesure de la distinguer de celle des autres militaires. Quand Étienne les voit, il se dit avec les autres Tutsi alors à ses côtés que c’en est désormais fini pour eux. Maintenant qu'il y a des Blancs, ils se disent qu’ils n’ont plus aucune porte de sortie. Alors lui et les rares personnes avec qui il se trouve, et qui comme lui sont jeunes et peuvent courir, essaient de courir en passant par un camp de réfugiés, près de Mu Gitwa [à ne pas confondre avec Gitwa]. Arrivés là-bas, ils ne peuvent plus avancer. Ils sont très fatigués. Alors ils s’assoient, pensant à cet instant être les seuls survivants.
- ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC INNOCENT NKUSI (RESCAPÉ) :
Témoignage d’Innocent Nkusi recueilli par Bruno Boudiguet le 15 avril 2013 à Gititi.
Résumé : Le 13 mai 1994, Innocent est caché. Ils ne se cachent pas au même endroit pendant la journée. Il se cache dans des trous où l’on cherche d’habitude du coltan. Quand il entend les tirs, il en sort et aperçoit des Blancs à Nyarutovu. Il aperçoit des Blancs tenant quelque chose avec laquelle ils observent les Tutsi courir et qu’Innocent pense pouvoir être un appareil photo. Les Blancs qui tiennent ces jumelles ne portent pas de tenue militaire, mais d'autres Blancs – peut-être plus que trois – en portent eux. Des fusils sont postés à certains endroits, mais Innocent ne saurait dire où sont ces armes lourdes. Il voit en revanche qu’elles font se soulever la terre, le sol même se déchirer, les gens sauter, ce tandis que lui est en train de courir. D’autres Blancs tirent eux avec leur fusil entre leurs mains, des fusils qui ne s'arrêtent pas. De nombreuses personnes tombent à côté d’Innocent. Tout le monde tire, aussi bien les Blancs que les autres. Le lendemain 14 mai est aussi terrible que la veille. Innocent revoit des Blancs tirer sur les Tutsi. Les Blancs ont les mêmes armes que la veille. Il y a également des civils ainsi que des militaires rwandais qui tirent. Innocent et les autres Tutsi se mettent alors à courir et se cachent dans la forêt de Nyiramakware, dans les trous qu’ils y ont creusés. Certains Tutsi meurent dans ces trous tandis que d’autres essuient les tirs avant même de parvenir à leur cachette. Innocent pense être le seul survivant du groupe dans lequel il était ce jour. Les trois attaques terribles ont lieu les 13, 14 et 15 mai. C’est au cours de ces attaques qu’Innocent perd ses sept enfants, sa femme, son père, sa mère, ses frères. Dans sa famille paternelle, ils étaient douze enfants. Il n'en reste aujourd’hui que deux, son frère et lui. Peu après l’attaque Simusiga – disons une semaine après, selon Innocent -, en tout cas avant que le Blancs ne viennent avec Twagirayezu - entre 20 jours et un mois avant la rencontre du 27 juin, selon Innocent -, Ruzindana, Mika et Twagirayezu viennent se moquer des survivants tutsi : « Est-ce que c'est vrai que vous êtes attaqués ? Et par qui ? » Les Tutsi répondent : « Nous sommes attaqués par Ruzindana et Mika ! » Alors Mika et Ruzindana leur rétorquent : « Non, non, ce n'est pas nous qui vous attaquons. D'ailleurs nous allons revenir avec la Croix-Rouge pour vous sauver, n'ayez pas peur. » Quand les Blancs reviennent le 27 juin, ils sont avec Twagirayezu, alors qu'ils savent selon Innocent qu’il s’agit d’un Interahamwe qui marche avec Ruzindana et Mika. Les Tutsi disent aux Blancs que Twagirayezu est un Interahamwe qui vient pour les tuer. Certains Tutsi veulent même s’en prendre à lui. Les Tutsi disent aux Blancs : « Comment prétendez-vous nous sauver alors que vous êtes en compagnie d'un Interahamwe ? » Les Blancs repartent avec Twagirayezu, disant aux Tutsi qu’ils comptent revenir. Les Tutsi revivent les 28, 29 et 30 juin une nouvelle fois ce qu’ils ont vécu au mois de mai.
- ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC CASSIDE MUKAZITONI (RESCAPÉE) :
Témoignage de Casside Mukazitoni recueilli par Bruno Boudiguet le 15 avril 2013 à Gititi.
Résumé : Au matin du 13 mai 1994, Casside se cache vers Kashyamba, tout près de chez Kabogora, à Kamina. Elle est avec d’autres femmes, mortes depuis. La plupart d'entre elles n'ont déjà plus d'enfant, d'autres en ayant toutefois encore. Difficile de fuir car même sur la route à cet endroit se trouvent plusieurs militaires accompagnés de miliciens. C'est à cet endroit que Casside sent soudain une chose qui semble avoir été lancée et qui fait trembler la montagne. Quand elle sort, elle voit des Blancs ainsi que d'autres militaires. Ils sont nombreux. Elle ne peut toutefois dire s’ils sont 5, 7 ou 4. L’attaque n’est pas ordinaire. Elle ne ressemble pas aux précédentes. Il y a non seulement des militaires mais aussi donc des Blancs. Ses sept enfant sont été tués au cours du génocide.
- ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC HELDIONE MUSADAYISI (RESCAPÉ) :
Témoignage d’Heldione Musayidizi recueilli par Bruno Boudiguet le 15 avril 2013 à Gititi.
Résumé : Le 13 mai 1994, tandis qu’Heldione fait partie d’un groupe se cachant sur la colline de Kigarama, ils commencent à entendre les tirs, quittent cette colline pour aller se réfugier sur celle de Mumubuga, juste en face de la colline de Nyarutovu qui suit celle de Gitwa. Quand on prend la route pour se rendre à l'école primaire de Gitwa, les bâtiments de Mumubuga se trouvent sur la gauche. Heldione regarde alors en direction de la colline de Nyarutovu où il aperçoit des Blancs y arrivant, s’y arrêtant un moment et sortant de leurs voitures. C'est la première fois qu’il voit des Blancs. Ils sont en tenue militaire, de la couleur de leurs voitures également militaires. Heldione ne sait pas si ces Blancs sont des Français. Et puis, il a peur de regarder, se cachant au moment où il les observe. Autrement dit, lui et les autres Tutsi avec qui il se trouve à cet endroit essaient de voir les assaillants sans qu’eux ne parviennent en retour à les voir. Il y a beaucoup de voitures. Une fois garées, nombreuses sont les personnes qui en sortent. Il y a, en compagnie des Blancs, nombre de militaires noirs dont Heldione suppose que ce sont des Rwandais, si ce n’est qu’il ne les connaît pas, qu’il n’est pas en mesure d’identifier qui que ce soit, ni de reconnaître de personnalité locale. Lorsqu’il voit les Blancs le jour de la grande attaque, Heldione s’enfuit en direction de la forêt de Pinus de Nyiramakware. Ce premier jour des attaques de la mi-mai correspond à la plus terrible des attaques. La présence de ces nombreux militaires ainsi que de ces Blancs rend les choses difficiles pour les Tutsi. C'est la première attaque qui sort de l'ordinaire. Heldione ne peut pas vraiment identifier les types d'armes, mais lorsqu’ils tirent et lancent leur projectile, c'est tellement fort qu'on peut voir le sol sauter ainsi que la personne à côté, ce avant qu’elle ne finisse par retomber à terre. Heldione ne sait pas si les Blancs tirent eux-mêmes, occupé qu’il est à courir afin d’éviter les tirs sur Mumubuga. La deuxième fois qu’Heldione voit des Blancs c'est le 17 juin à Byiha sur la colline de Gitwa, juste à côté de l'école primaire de Gitwa. Heldione a peur de s'approcher. Lui et d’autres ont peur des Blancs, d’autant qu’ils s’aperçoivent qu'ils sont avec Twagirayezu, un Interahamwe, un enseignant. Ils s’approchent quand même. Tout le monde a peur, y compris Heldione, si ce n’est qu’ils disent qu’ils sont après tout déjà morts. Aussi n’ont-ils pas le choix. Ils s’en vont donc écouter ce que ces Blancs ont à leur dire, allant jusqu’à se convaincre que par chance, ils tireront sur eux une fois pour toutes et qu’ainsi tout cela finira enfin.
- ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC AMON NYAKAYIRO (RESCAPÉ) :
Témoignage d’Amon Nyakayiro recueilli par Bruno Boudiguet le 15 avril 2013 à Gititi.
Résumé : L'attaque Simusiga a eu lieu après un mois au cours duquel les Tutsi ont passé les jours les plus longs de leur vie. Avant cette attaque, les Tutsi connaissent un moment de répit, de telle sorte qu'ils commencent à croire que la guerre a cessé, qu’il s’agit peut-être là d’un cessez-le-feu. Aussi se mettent-ils à sortir de leurs cachettes. Ils ne savent alors pas ce qui les attend. Amon ne se joint alors pas à ceux qui se regroupent pendant la journée afin de savoir comment s'organiser pour essayer de se défendre. Puisqu’il leur est laissé du répit, certains Tutsi comme Amon commencent à négliger un peu ces directives, ces conseils. Certains partent, d'autres essaient de se cacher mais aussi de faire certaines activités. Le 13 mai 1994, Amon entend des tirs. Il voit les montagnes se déchirer. Il constate que même les gens qui sont alors dans les rivières ou qui se cachent derrière les montagnes, peuvent mourir en étant atteint par des balles. Quand Amon tente de courir, il voit que sur chaque montagne, sur chaque colline, on ne voit plus ni arbre, ni herbe, mais seulement des gens. Les Tutsi qui sont tout près des assaillants voient des Blancs. Quant à Amon, il ne voit pas de Blanc ni même de militaire. Tout ce qu’il est en mesure de voir, ce sont des voitures, beaucoup de gens en train de tirer, des gros fusils qui tirent sur eux, sans savoir si ces gens qui tirent sur eux sont des militaires ou des civils, ni enfin si ce sont des Blancs. Hormis ces deux semaines - ou cette semaine et demie - au cours desquelles les Tutsi ont connu un répit, ces derniers ont pris l’habitude de se rassembler le soir venu. C'est ainsi qu’ils se comptent et déterminent ceux qui sont morts, ce qu’ils sont en mesure de faire quand ils ne les voient plus, et c'est ainsi qu'ils savent qui est blessé. Ce jour-là, comme ils ont vraiment subi quelque chose de terrible, une fois les assaillants partis tard dans la nuit, ils se regroupent une nouvelle fois pour déterminer ceux qui sont morts, tout le monde étant d’ailleurs ce jour presque mort. C'est alors qu’Amon apprend que l'attaque du jour a inclus des Blancs ainsi que des militaires parmi les assaillants. Autrement dit, ce ne fut pas une attaque comme les autres et ce qui vient de se passer est dès lors compréhensible. Parmi les personnes qui évoquent la présence de Blancs au cours de l’attaque, certaines sont mortes aujourd’hui, d'autres sont en vie, deux étant voisins d’Amon.
- ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC PASCAL NGOGA (RESCAPÉ) :
Témoignage de Pascal Ngoga recueilli par Bruno Boudiguet le 17 avril 2013 au Home Saint-Jean de Kibuye.
Pascal Ngoga détaille comment des soldats blancs ont participé au grand massacre génocidaire visant les Tutsi de Bisesero le 13 mai 1994, information qu'il n'avait pas indiqué à Serge Farnel en 2009. Ce dernier ne s'était alors pas intéressé de savoir s'il était témoin de cette présence de Blancs le 13 mai car aucun témoin ne l'avait alors encore mis sur cette piste d'enquête.
Résumé : La première grande attaque a lieu le 13 mai 1994. Une fois Pascal arrivé à Mumubuga, les assaillants se mettent vraiment à tirer. À Mumubuga, près de l'école primaire, il voit des Blancs dont il ne connaît alors pas la nationalité. Pour Pascal, on voit très bien celui qui est sur la colline d'en face. Il s’agit du seul endroit où il parvient à les voir. Il se met à courir en direction de la colline de Muyira, du somment de laquelle ils peuvent mieux se défendre. Muyira devient toutefois vite ce jour le théâtre d’un terrible spectacle, les tirs venant de partout. Aussi Pascal, ainsi que les Tutsi en général se mettent-ils à courir dans toutes les directions dans l’espoir de se cacher. Ces terribles attaques de la mi-mai s’étendent sur trois jours, jusqu’au 15 mai. Ceux du TPIR qui sont venus à Bisesero ne s'intéressaient qu'au dossier concernant un accusé rwandais. Pascal ne leur a alors pas parlé des Blancs du 13 mai mais seulement de cet homme. La déposition s’est ensuite faite à Kigali, Pascal étant interrogé par un Blanc français du TPIR. On lui a fourni un ticket de transport. Il y avait là un juge, un substitut, deux traducteurs. Pascal pense se souvenir lui avoir parlé des Blancs du 13 mai. Pascal tente d’expliquer pourquoi il ne parle que maintenant des Blancs du 13 mai. La première raison, la plus importante, est qu’il a un temps ignoré les dates. Ils étaient alors comme fous. C’est lorsqu’ils ont enterré les leurs qu’ils ont essayé de restituer les dates. C’est à cet instant seulement qu’ils ont commencé à se remémorer certaines choses. Quant à la raison pour laquelle ils n’ont pas dit que des Blancs avaient participé au massacre du 13 mai, c’est selon Pascal parce qu'à cette époque, ça ne les intéressait pas de savoir qui avait ou non tiré. Ils savaient que les Blancs étaient là de tout temps. Ce n'était donc pas la peine de le dire, sauf quand quelqu'un prend la peine de venir leur poser la question de l’identité des tireurs. Dans ces conditions, ils peuvent être amenés à se souvenir de ce qui s'est passé. Mais à l’époque, ça n'était pas leur souci. Ils étaient morts, exterminés.
- ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC RIBANJE MUNYAMPETA (RESCAPÉ) :
Témoignage de Ribanje Munyampeta recueilli par Bruno Boudiguet le 18 avril 2013 au cours d’une reconstitution à Gititi.
Résumé : Le 13 mai 1994, Ribanje Munyampeta se trouve sur la colline de Gititi. Sur la colline de Kanyinya se trouve posté un gros fusil. Plutôt tard dans la matinée, en tout cas pas très tôt, Ribanje y aperçoit de nombreux Blancs avec leur grosse chose regarder partout. Ribanje part en courant sur la colline de Muyira où les Tutsi se font exterminer. Pendant l'attaque Simusiga (13 mai), Ribanje a compris que les Blancs sont leurs ennemis. Mais ils viennent cette fois en se faisant passer pour leurs amis (27 juin), les assurant qu’ils vont les protéger, qu'ils vont leur donner à manger, qu'ils ont compris leur peine, ce alors qu'ils sont simplement en train de leur mentir. C'est ainsi que le peu de survivants vont trouver la mort après leur départ. Ce qui fait mal aujourd’hui à Ribanje, c'est que les Français sont donc parvenus à leur mentir en leur disant : « Nous avons changé, aujourd'hui nous sommes vos amis », alors que ce n’était qu’une façon de continuer à les tuer.
- ENTRETIEN INDIVIDUEL AVEC VINCENT KARANGWA (RESCAPÉ) :
Témoignage de Vincent Karangwa (rescapé) recueilli par Bruno Boudiguet en novembre 2013 au Rwanda.
Résumé: Vincent Karangwa est sur la colline de Kashyamba, tout près des écoles. Les tirs commencent vers dix heures. Nyiramakware est juste en dessous de Kashyamba. Ils commencent à tirer sur Nyiramakware, Vincent Karangwa parvenant, de là où il se trouve, à entendre les tirs sur Nyiramakware. Les gros tirs sont à Nyiramakware, après quoi les tueurs de Nyiramakware se rendent vers Kashyamba et tirent à cet endroit. Quand Vincent Karangwa les voit arriver à Kashyamba, il s’enfuit en courant dans la vallée, tandis qu’on leur tire dessus. Vincent Karangwa pense qu’ils se sont alors divisés pour tirer sur les collines. Au moment où il monte en direction de Kagari, un tir atteint Kashyamba tuant une personne sur le coup, sa tête devenant semblable à de la viande hachée. Si Vincent Karangwa a jusqu’à présent pris l’habitude de ces tirs susceptibles de leur couper le bras ou la jambe, c'est toutefois la première fois qu'il voit une chose pareille. Au départ, Vincent Karangwa n’est pas tout près de la route. Mais au moment où il quitte l'endroit où il se trouve pour rejoindre les autres Tutsi, il aperçoit un Blanc en tenue militaire parmi les gens qui tirent. Le Blanc est au milieu de policiers, sur la route de Kashyamba. C’est ce groupe qui a atteint la personne alors à côté de Vincent Karangwa sans que ce dernier ne sache qui a tiré. C'est la première fois qu’il voit ce type d'arme. Il est alors à peu près 13h30 ou 14h. Vincent Karangwa vit à cet instant à son tour ce que ceux de Nyiramakware viennent de vivre. Vincent Karangwa parvient à se cacher dans la vallée. Les miliciens repartent souvent vers 15h.